F comme Flûte

Pour évoquer la Beauté, Patrick Jouffret, designer français, a choisi de parler d’objets créés par l’humain pour accomplir ses rêves. Selon lui, au-delà des modes et des statuts, ils embellissent la fonction, rythment notre histoire et l’évolution de nos besoins. A travers cette sélection subjective, sous la forme d’un abécédaire, Patrick a la volonté d’explorer leur dimension cachée qui en font des pièces uniques, intemporelles et essentielles. Après la lettre E (comme Encrier), place à la lettre F… comme Flûte !

Dans l’actuelle Colombie, il y a 6000 ans, les habitants de la côte caraïbe ont développé une grande culture hydraulique leur permettant de maîtriser les inondations et de préserver de larges plaines pour leurs habitations.

Ce peuple, les Zenú, avait essentiellement pour moyen de subsistance la pêche, la chasse, l’agriculture et la collecte d’aliments végétaux. Leurs groupes étaient dirigés indifféremment par des femmes ou des hommes. Le professeur Jesús Antonio Quiñones décrit le peuple indigène Zenú jouant avec des coquillages et des flûtes de cérémonie en groupes bercés par le balancement de l’eau la berceuse de leurs chansons.

Pendant près de deux mille ans, ils érigèrent un système de canaux entre la rivière San Jorge, le Rio Magdalena et la rivière Yuma couvrant ainsi 600 000 hectares. Dans cet environnement, ils développèrent l’orfèvrerie et la poterie jusqu’à créer l’une des plus anciennes céramiques connues en Colombie.

Réalisées dans la tradition Inca, ces poteries se caractérisent par des formes sobres, sans distinction de niveau social que ce soit pour un rituel ou un usage domestique. La musique était également omniprésente. On retrouve beaucoup de représentations d’animaux ou de musiciens sur leurs céramiques.

En appliquant la même rigueur scientifique à l’expérimentation et à l’élaboration d’instruments de musique, le peuple Zenú a créé les plus belles flûtes à bec en céramique de leur temps. Leur forme témoigne d’une grande sensibilité artistique, acoustique et artisanale.

Le compositeur Colombien, Luis Antonio Escobar décrit la sonorité de ces instruments, magnifiquement tempérés. Il précise qu’elle n’est égalée par aucun sifflet ou ocarina des autres cultures de Colombie (Tairona, calima, Tumaco). Leur qualité acoustique va de pair avec leur esthétique minimaliste unique.

Les expérimentations Zenú ont abouti à un archétype reproductible que l’on retrouve à travers tout le territoire dans différentes tailles y compris de petits formats destinés aux enfants. En effet, ces “flûtes tronquées” ont été fabriqué, pendant plusieurs siècles, avec les mêmes proportions, les mêmes mesures, les mêmes céramiques et les mêmes couleurs.

Pour faire renaître le souvenir intact du son datant d’1 millénaire, il suffit de souffler dans cette flûte de céramique. En vibrant, la colonne d’air nous relie à ces gens, à un instant poétique de leur existence sur terre. Les qualités esthétiques et sonores de ces instruments nous laissent imaginer le raffinement de leur culture. Cette subtilité avait dû se développer dans d’autres secteurs, le textile, les outils, le maquillage ou les relations humaines.

Possiblement fabriquée entre le Xème et le XIIIème siècle, cette flûte est une preuve supplémentaire que la quête du sens et de la forme simple à commencé bien avant le Bauhaus et les théories fonctionnalistes. L’objet avait possiblement une dimension supérieure à la musique elle-même, contribuant par la pureté de son son à un éveil au sacré quotidien, sans cesse recommencé.  Un langage universel qui nous transmet une connaissance de la matière, de l’acoustique et une poésie de la vie. Ce peuple s’appelait Zenú et disparut progressivement à partir du 16ème siècle avec la conquête espagnole.