Rencontre avec Anna Le Corno, créatrice de Farouche Paris
Architecte de formation, Anna Le Corno s’est formée à l’ébénisterie à l’Ecole Boulle, avant de monter il y a cinq ans son atelier : Farouche. Son approche mêle un savoir-faire artisanal avec l’innovante découpe au laser. Véritables fresques marquetées et colorées, ses œuvres enchantent les particuliers et les marques, dont DS qui a fait appel à elle pour concevoir le tableau de bord d’un concept-car ou encore Marotte, pour qui elle signe une collection de panneaux décoratifs. Rencontre avec une artiste qui renouvelle les codes de l’ébénisterie.
D’où vous vient votre vocation pour l’ébénisterie ?
J’ai toujours été touchée par le bois, le potentiel de sa matière et de ses couleurs, et je voulais changer d’échelle, travailler sur un objet de A à Z. Au cours de mon CAP, j’ai découvert la technique de la découpe laser. Au départ réticente (je quittais mon ordinateur d’architecte pour travailler de mes mains), j’ai vite compris que je pouvais pousser cette technologie vers un graphisme et une esthétique difficiles à envisager avec le travail classique du bois.
En quoi cette manière de travailler le bois rompt avec les manières de faire traditionnelles ?
L’artisanat d’art est traversé par l’innovation et le numérique prend une place de plus en plus grande dans la conception de mobilier. Mais peu d’artisans emploient le laser dans la marqueterie jusqu’à en faire leur signature, la source de leur recherche artistique. Il m’a fallu du temps pour me détacher des conventions, m’autoriser la liberté d’interpréter le savoir-faire classique. Aujourd’hui, je maîtrise les gestes de l’ébénisterie mais mon travail consiste à dépasser les techniques et les traditions. C’est pourquoi j’aime mêler les matières : bois, cuir, marbre, mosaïque…
Quel est votre processus créatif ?
J’ai deux manières de travailler. Si c’est une commande, je vais jusqu’à l’esquisse avec rendu réel pour que le client se projette. Je prends le temps de dialoguer pour comprendre son désir et la manière dont le meuble va vivre chez lui. Récemment, j’ai créé un buffet qui fait face à la mer, chez un particulier. Ce lieu, très beau, a eu une importance capitale dans le dessin du meuble. Et si c’est une création pure, mon point de départ est physique. Pour le paravent, j’ai commencé par une marqueterie circulaire, sans imaginer la fonction ou l’ampleur de l’œuvre. La fonction est née au fil des réactions, parfois accidentelles, de la matière. C’est un processus long, plusieurs mois de production par pièce.
Vos meubles se distinguent par le travail de la couleur et l’assemblage d’essences. Pourquoi ce choix, tant artistique qu’écologique ?
Je cherche à contemporanéiser des essences très marquées comme l’ébène de Macassar ou même le noyer français. Pour les couleurs, je travaille avec un fournisseur de placages teintés. Mes meubles sont des pièces uniques, je commande donc des feuilles de bois et j’en récupère aussi auprès d’ébénistes. La découpe laser me permet d’économiser sur la matière et de réemployer des chutes. À mon échelle de production (4 ou 6 meubles par an), l’impact écologique est limité, d’autant que mes meubles sont conçus pour se transmettre sur plusieurs générations.
Où se situe, selon vous, la beauté de vos créations ?
Pour moi, la beauté se trouve dans le point d’équilibre auquel je parviens quand je crée. Il arrive un moment dans la conception où tout s’imbrique, tout devient clair. Puis, lorsqu’on produit surviennent des moments magiques où l’on est surpris par le réel de la matière : un nœud dans le bois par exemple, peut influencer le rendu final. La beauté naît de l’imprévu.
Photo de couverture : Tête de lit Paz © Pénélope Sécher