Rencontre avec Beya Gille Gacha, artiste plasticienne
Découvrir les œuvres de Beya Gille Gacha, c’est entrer dans un univers peuplé de silhouettes indigo, de mains tendues vers le ciel et de bustes perlés. Un monde à l’étrangeté familière, se jouant des interprétations faciles et des frontières étanches. Artiste plasticienne vivant et travaillant à Paris, Beya Gille Gacha puise son inspiration dans l’histoire, les traditions (notamment celle du perlage chez les Bamilékés au Cameroun) mais aussi dans l’actualité politique et le combat féministe. Nous l’avons rencontrée pour connaître son rapport à l’art, à la beauté des corps et à la place du vivant dans son travail.
Bonjour Beya. Comment vous êtes-vous initiée au monde de l’art ?
J’ai un parcours d’artiste autodidacte, c’est-à-dire que je n’ai pas fait d’école d’art et me suis formée seule ou par des biais parallèles aux différentes pratiques dont j’use. Toutefois, j’ai été deux ans à l’École du Louvre. L’histoire de l’art est une discipline qui me fascine et nourrit énormément mon travail artistique.
Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la sculpture ?
J’ai tendance à imaginer les choses en volume. L’idée de construire est importante pour moi, et ce dans différents sens ! Je me suis concentrée sur la sculpture anthropomorphe, et comme il s’avère que dans ma manière d’aborder le monde, le vivant et l’humain ont une place centrale, mes sculptures humaines sont au cœur de ma pratique. Par la suite, je peux imaginer des pièces usant de médium variés (peinture, dessin, installation, vidéo, …) et créer ainsi un corpus d’œuvres sur une thématique particulière, autour de la pièce première.
Vous décrivez votre art comme « poético-brut ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est un terme que je n’ai pas utilisé depuis longtemps ! Je pense être traversée par ce qui pourrait sembler des paradoxes mais qui finalement n’en sont pas. Je les ressens comme des concepts ou des émotions qui seraient plutôt des amants, qui ne vivent pas l’un sans l’autre, un peu comme la lumière et l’ombre. Sans le vouloir, je réalise un travail qui à la fois est très aérien, et très frontal. Je mêle énormément le registre de la souffrance à celui de la transcendance. C’est un peu ce qu’il y a derrière ce terme.
Quelles émotions cherchez-vous à susciter chez le public de vos œuvres ?
J’aime être surprise des réactions du public, je ne m’y attends jamais vraiment ! Il y a quelques années, un visiteur m’a dit qu’une de mes pièces lui faisait peur. Loin de me gêner, je me suis surprise moi-même à en être heureuse, car comme dit Carl Jung : « Là où est ta peur, là est ta tâche ». C’est une belle chose que d’assumer sa peur, et chaque émotion en soi est un message à prendre en compte, sans le juger négatif ou positif. Au-delà de l’histoire des pièces et de mes propres motivations et messages lorsque je crée, j’aime à réaliser des miroirs. Nous sommes tous des miroirs les uns des autres. Si mes pièces peuvent faire remonter des émotions importantes pour la personne qui la regarde, savoir de quelle émotion il s’agit en tant que tel n’est pas le plus important à mes yeux. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est lorsque des personnes sont captées par mon travail sans trop savoir ce qu’elles ressentent, et cherchent alors à le comprendre. On a tellement tendance à supputer plutôt que de chercher à se comprendre dans nos rapports humains : si mon travail peut générer cette posture d’ouverture, c’est superbe.
La représentation des corps occupe une place importante dans votre travail. Pourquoi ?
J’ai la nécessité de toujours placer le vivant au centre de mes réflexions, et c’est à travers le corps que j’exprime énormément d’idées, même d’allégories. Pour moi, le corps a différents plans de compréhension : il y a d’abord celui du modèle, qui est davantage un collaborateur. Par sa vie, son parcours, son aura, il est souvent la source de l’inspiration de la pièce, le point de départ de la réflexion qui donnera naissance à l’œuvre. Et il y a également un pan où le corps peut être un conte à lui-seul, ou encore la métaphore de quelque chose de totalement différent. Je présente par exemple en Juin une pièce sur Mamiwata au CAC Passerelle à Brest (dans le cadre de l’exposition Là où va la mer… curatée par Armelle Malvoisin) où le corps perlé est à la fois une femme, mais également la nature. Je pense que c’est à travers nos corps que l’on se comprend, plus que par nos mots.
Quelle beauté cherchez-vous à atteindre en créant une œuvre ?
C’est une question difficile ! Je ne sais pas si je cherche vraiment à atteindre une beauté… Certes, l’exigence esthétique est importante pour moi, mais j’ai davantage le besoin de créer une œuvre qui a une âme. On pourrait dire que je cherche à présenter des pièces dont la beauté qu’on leur trouve est due à leur âme.
Comment concilier la beauté d’une œuvre et son message politique ?
Cela n’appartient qu’à moi mais je dirais que pour faire passer un message politique, il faut attirer, voire même séduire. Alors la beauté, avec toute sa subjectivité bien entendu, devient pratiquement une condition sine qua non pour que ce message passe. C’est même la base de la propagande !
Chez Beauty Therapy, nous pensons que la beauté peut soigner. Êtes-vous d’accord avec cette idée ?
Bien sûr ! Et j’en profite pour partager ce qu’est la beauté pour moi chez quelqu’un : un sourire sincère, un regard doux, une énergie rassurante, une aura qui vous permet, ne serait-ce qu’un instant, de vous libérer de vos poids, et vous fait vous sentir bien à être tout simplement. Ce genre de beauté soigne. D’ailleurs, j’estime que si l’on commençait à observer le monde et soi-même avec la notion de beauté plutôt que la notion de bien et de mal, on serait plus naturellement enclin à améliorer les choses, pour les embellir. J’aime beaucoup que vous ayez repris les mots de Dostoïevski (un de mes auteurs favoris) lorsque dans l’Idiot, il fait dire au Prince Mychkine : « La beauté sauvera le monde ». J’y crois car la beauté dont nous parlons, c’est la beauté d’âme.
La quête du Beau n’est donc pas réservé à la démarche artistique ?
Au contraire, je suis parfois surprise de constater qu’un artiste, en constante quête de perfection dans son travail, puisse mettre de côté cette recherche en tous ses gestes et pensées. Personnellement, je ne me sentirais pas sincère dans mon travail artistique si je n’étais pas aussi exigeante dans mon travail mental et émotionnel. Un mauvais coup de pinceau est un mauvais coup de pinceau, on l’accepte et on le retravaille ; et peut-être devrait-on envisager ainsi les actes que nous posons sur la toile qu’est la terre.
Crédits photo de couverture : Dana Ozolappa