Le rendez-vous des Divinités : Déméter et le visage de la fécondité
Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes féminins que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.
La saison estivale a débuté au Solstice d’Eté le 22 juin avec l’entrée dans le signe zodiacal du Cancer, signe d’eau, gouverné par la Lune, associée au yin des émotions et des flots intérieurs. Dans la Grèce antique, la Lune est assimilée à la figure maternelle des Déesses Séléné et Déméter.
Aujourd’hui, pour ce rendez-vous, nous nous intéresserons tout particulièrement à la Déesse Déméter, la Grande Mère, fille de Saturne (Cronos en grec) et de Rhéa, sœur de Zeus (Jupiter en latin).
Son étymologie même nous renseigne sur sa proximité avec la Déesse-Mère. Son nom est en effet formé de deux racines grecques : Gè, signifiant Terre, devenu Dè ; et de Méter qui est la Mater donc la Mère, celle profondément rattachée à la Terre-Mère, à ses eaux comme à ses racines, avec tout son principe féminin primordial inscrit en elle.
En effet, Déméter est une Déesse qui résonne fort avec l’Archétype de la Mère car elle est Déesse du Blé, de la Fertilité, de la Fécondité, patronne et protectrice de l’Agriculture. Les Romains l’identifiaient à Cérès, qui donnera naissance au terme de « céréales ». Elle est très proche pour ses ressemblances de dispensatrice de vie à la Déesse égyptienne Isis, ou encore à la Déesse phrygienne, Cybèle.
Déméter préside à la germination des végétaux et transmet aux hommes le savoir vivre avec la Nature et le savoir cultiver pour leurs besoins : elle est grandement vénérée dans les cultes anciens car elle est à la base de l’économie, de la nourriture et de la vie des Anciens.
Ses attributs principaux sont l’épi de blé, la faucille, le calathos, qui était un panier en osier en forme de calice évasé pour accueillir les produits de la récolte ou des offrandes, le coquelicot, ou pavot sauvage, la figue, et la Corne d’abondance, mais aussi le serpent (vu comme le protecteur de l’œuf originel et cosmique) très respecté chez les Grecs pour sa régénération au contact de la terre, ce qui en fait un être quasi-divin, ses pouvoirs sont associés à une médecine guérisseuse et sa très ancienne existence aurait précédé la vie des Grecs eux-mêmes dans tous leurs mythes.
Beaucoup de prières et d’invocations associaient Déméter aux Muses pour, au début de l’été, célébrer, lors de repas champêtres, l’abondance et l’opulence nourricières de la saison estivale.
Que la Terre-Mère et Déméter continuent de nous sourire,
Les deux mains pleines d’épis de blé et de généreux pavots…
Extrait d’un poème écrit par le poète grec bucolique Théocrite.
Déméter, la Nourricière
Déméter est très étroitement associée à la Terre-Mère comme figure maternelle nourricière autant des hommes que de tout être vivant. La figue n’est pas un des attributs de la Déesse par hasard : ce fruit représente, dès l’Antiquité, l’Abondance, la générosité maternelle, la rondeur du sein maternel nourricier. Le figuier, d’ailleurs, est de genre féminin en grec ancien symbolisant ainsi la maternité.
De plus, le lait blanc qui s’écoule de la figue était considéré comme un lait nourricier, substitut du lait maternel, préconisé par plusieurs médecins antiques. Il était de coutume d’offrir des figues pour le culte de Déméter. Une figue avait même été sculptée dans le temple de Déméter avec une longue tige, censée représenter le cordon ombilical.
La correspondance avec la figure de la Mère est très claire et logique quand nous parlons de la Déesse Déméter. N’oublions pas que Déméter est la mère de Perséphone, enlevée par le dieu des Enfers, Hadès, qui l’emmène dans les souterrains infernaux pour en faire son épouse et la reine de son royaume des morts. Cet enlèvement marque la fin de l’Abondance dans la Nature car Déméter, profondément attristée par la disparition de sa fille, décide de se mettre en deuil jusqu’à ce que sa fille soit retrouvée. C’est ainsi que la Nature généreuse commence à s’amenuiser et à amoindrir ses ressources jusqu’à ne plus rien produire pour les hommes, bientôt condamnés à mourir de faim.
Alors, Zeus intervient pour trouver un compromis entre son frère, Hadès, et sa sœur, Déméter : Perséphone restera six mois sous terre, et Déméter, accablée, pleurera sa fille sans rien offrir aux hommes, ce qui correspond à la période de la fin de l’automne et à celle de l’hiver. Lorsque Perséphone remontera au jour et qu’elle reviendra sur terre dans le monde des vivants, comme les végétaux entament leur croissance vers la lumière pour éclore et fleurir, Déméter, heureuse de retrouver sa fille, manifestera sa joie et sa gratitude en annonçant la saison faste et prospère du printemps et de l’été, en insufflant la vie à la Terre et en offrant généreusement ses fruits aux hommes.
Perséphone incarne ainsi à son tour les saisons et le cycle de la végétation : elle symbolise la graine, la semence des céréales, plantée, qui descend dans les profondeurs de la Terre, comme nous, nous entrons dans notre intériorité de l’hiver, pour mieux germer, pousser et renaître à la belle saison.
C’est de cette belle façon métaphorique que les Anciens aimaient à expliquer poétiquement l’alternance des saisons qu’ils respectaient scrupuleusement, rythmant leur année au tempo des cycles de la Terre.
Déméter est la Déesse nourricière de tout ce qui vit, en tant que visage de la fécondité et de la mère universelle, donatrice de vie, produisant les fruits jusqu’à leur récolte. Elle est célébrée à différents stades des semailles, des labours et des récoltes. Surnommée Chloé, la verdoyante, la Déesse préside à la pousse des végétaux. Elle est également celle qui fait blondir les blés jusqu’à la moisson, puis les fait sécher au soleil jusqu’au moment du tri du grain au début de l’automne pour la réserve de l’hiver.
Divinité de la Terre fertile, associée au principe féminin, Déméter est également une Divinité lunaire comme visage de la Pleine Lune, dans toute sa maturité enveloppante et sa rondeur rassurante.
Reliée à l’élément de l’eau, nécessaire à la croissance de la végétation, elle est proche des Nymphes des sources. Déméter tisse des liens intimes avec le signe maternant et émotif du Cancer tout comme avec l’Archétype de la Mère protectrice et nourricière de sa famille, de sa tribu, dans une grande générosité et un immense altruisme.
La Mystérieuse Déméter
Par ailleurs, Déméter cultive une part de mystère. Lors des Mystères d’Eleusis, rite qui lui était consacré, rien ne devait filtrer par les initiés de cette cérémonie sous peine de mort. Cette fête d’Eleusis, ville au nord d’Athènes, était très célèbre : elle avait lieu à la fin de l’été/tout début de l’automne, entre fin août et fin septembre et durait 9 journées, qui correspondaient au nombre de jours où la Déesse avait recherché sa fille, Perséphone.
Chaque journée était dédiée à des rites particuliers parmi lesquels un rite de purification pour entrer dans cette fête, des offrandes de céréales dont le millet et l’orge, une procession, une course avec des flambeaux, des jeux et des rites d’initiation tenus secrets. Tous les rites et cérémonies qui étaient consacrés à cette Déesse comportaient des offrandes de fruits, de grains d’orge, de vin, de figues fraîches ou sèches et de miel, liquide nourricier aussi important que le lait dans les rituels antiques.
Les Prêtresses de Déméter comme celles de Perséphone ou de Cybèle, mais aussi celles d’Artémis ou la Pythie pour Apollon, sont appelées les Prêtresses du miel, en référence aux messages qu’elles délivraient au nom des divinités qu’elles représentaient : leur parole était alors un doux son de miel, un message précieux comme un nectar divin à savourer. Lors des cérémonies en l’honneur de Déméter, il y avait même une « Reine Mère, une Reine des Abeilles » qui présidait la cérémonie.
Protectrice et aimante des femmes devenues épouses et mères, en tant que Déesse de la fécondité, Déméter leur consacrait une fête, appelée les Thesmophories : seules les femmes mariées et mères pouvaient y participer. Des périodes de jeûne et de prières pour se purifier de leur vie quotidienne et se reliaient entre elles étaient respectées puis elles se rassemblaient de longs moments, assises sur des branchages de gattilier qu’elles avaient pris soin de tresser en nattes, pour échanger, discuter, s’écouter et se libérer des préoccupations de leur vie de mère et d’épouse : les premiers Cercles de Femmes étaient nés…
Déméter est rattachée à l’Archétype de la Mère, très présent dans la mythologie des Divinités féminines, par bien des points dont celui du Chaudron.
En effet, les lieux de culte de la Déesse aimaient mêler bois sacré et obscurité de la grotte humide, avec tout son aspect mystérieux, obscur, retranché, protégé, le calice comme réceptacle, la grotte souvent associée à l’utérus. Rappelons que Zeus pour échapper à la voracité légendaire de son père, Cronos, fut par sa mère mis à l’abri en Crète, sur le Mont Ida, dans une grotte que l’on disait gardée par Cybèle.
Cette filiation de la grotte au refuge sécurisant, à la figure de la mère, tout comme sa référence à l’antre créateur, au chaudron où mijote le projet créatif qui doit prendre le temps de maturer, d’infuser pour éclore, étaient déjà bien connues dans l’Antiquité à travers les mythes et la littérature.
C’est toute la richesse précieuse des trésors de la Culture Antique qui permet de comprendre, d’expliquer, de relier, de tisser Antiquité et Modernité.
La question de la maternité dans l’Antiquité
Déméter est une figure-clé de la Mère, une Déesse-Mère, appelée même « Nourricière d’immortalité », d’autres Déesses rejoignent ce statut soulignant la réflexion menée par les Anciens sur la fécondité et la maternité ainsi que leurs nombreuses questions sur ce sujet comme :
- « Qu’est-ce qu’être une Mère ? »,
- « Comment définir une Mère ? Par une hyper fécondité, par une inquiétude et une peur permanentes ? »
- « Comment les Grecs voyaient-ils les femmes humaines et les Divinités relatives à la Mère et à la Maternité ? »
Tant de questions qui montrent que « être une Mère » est un sujet de préoccupation, de questionnement, de représentation, qui traverse les époques comme les cultures et qui parcourt la mythologie, reliant Antiquité et Modernité par de nombreux fils.