Exposition Songlines – Chant des pistes du désert australien
La beauté qui soigne, on la trouve dans ce qu’on voit, mais aussi dans les histoires qu’on nous raconte, dans les légendes ; celles qu’on connaît bien, et celles qu’on découvre, qui nous dévoilent un pan d’une culture et d’un imaginaire jusque-là inconnus. C’est justement l’objectif de Songlines – Chant des pistes du désert australien, une exposition itinérante internationale produite par le National Museum of Australia, en ce moment au musée du Quai Branly Jacques Chirac à Paris.
Les Songlines, ce sont les chants de pistes. Si l’exposition montre de nombreuses peintures, il s’agit de bien plus que de simples œuvres esthétiques : ce sont des histoires contées en peinture, en chants, en danses, en cérémonies, et qui renferment des savoirs ancestraux, des règles sociales, des connaissances géographiques sur le territoire Australien, la connaissance de la terre et des étoiles. Les détenteur.ices de ce savoir sont les aîné.e.s, des personnes ayant une autorité culturelle au sein des communautés autochtones, des maître.sse.s de cérémonies. Les Songlines, ce sont donc aussi et surtout des outils de mémoire, et cette exposition itinérante cherche à perpétuer cette mémoire, dans un monde en pleine évolution, où les rituels perdent en puissance face à l’occidentalisation généralisée.
Il existe de nombreuses Songlines, l’exposition permet de découvrir celle des Sept Sœurs : un voyage à travers toute l’Australie, pendant lequel sept sœurs tentent d’échapper à un puissant sorcier qui les poursuit dans le but d’en épouser une, contre sa volonté. Loin d’être de simples victimes, les sœurs déjouent les stratagèmes du sorcier, se cachent, se transforment, s’échappent, et revendiquent leur liberté et leur indépendance : « On ne vous a rien demandé, on est très bien toutes seules ! » disent-elles. Bien avant me too et le féminisme moderne, cette Songline porte déjà des valeurs de force féminine, de sororité, de liberté, d’indépendance, de lutte contre la domination masculine, qui nous inspirent encore aujourd’hui.
Si les œuvres présentes ont l’air abstraites, les explications des aînées nous montrent vite qu’elles représentent au contraire des choses bien concrètes. Certaines formes représentent les sept sœurs, une autre représente le sorcier, d’autres représentent les points d’eau, ou encore une formation rocheuse, une montagne, de la végétation… En plus de raconter l’histoire, les œuvres sont bien souvent des cartes permettant de raconter le territoire. A titre d’exemple, à un moment de leur voyage, les sœurs ont creusé de nombreux trous dans la terre, c’est la raison pour laquelle il y a aujourd’hui des points d’eau. Le territoire prend tout son sens à la lumière de la Songline, elle permet de l’étudier, de le comprendre et de l’apprendre, pour en tirer parti et vivre avec lui.
La légende et ses personnages sont inspirants, et c’est aussi le cas des aînées qui la font vivre : ce sont des artistes avec une pratique riche. Elles font vivre les Songlines à travers des arts variés, la peinture, le chant, la danse, la parole… Parfois seules, parfois à plusieurs, faisant preuve d’autant de sororité que les sœurs de la Songline, créant des œuvres à plusieurs voix, à plusieurs mains, qui leur donnent une force singulière. Elles créent tout au long de leur vie jusqu’à la fin, en restant fidèles à leurs Songlines, en leur insufflant la vie, avec une énergie créative sans cesse renouvelée, parfois compulsive, vitale. A la fin de l’exposition, on peut voir les œuvres réalisées par plusieurs aînées à la fin de leur vie, sur tous les supports possibles : les taies d’oreiller, les tables, les fauteuils roulants, avec moins de précision que dans leur jeunesse, mais une énergie et une liberté sans pareil. Le but de la création est ici très loin d’une simple esthétisation du monde. Être beau, être vu, faire exister, perdurer, vivre à travers le temps, faire vivre l’art autant que l’artiste… Les Songlines montrent bien que l’art est essentiel à la vie. On ressort de l’exposition en ayant envie d’explorer les légendes qui nous sont inconnues, et de créer sans contrainte.
L’exposition est visible au musée du Quai Branly Jacques Chirac à Paris jusqu’au 2 juillet.
Article de Clara Cousin, directrice artistique chez Absolution.