Rencontre avec les créateurs d’Atelier Usages : « Nos créations racontent une histoire du territoire »
Philippine Klahr et Guillaume Pavageau sont les créateurs de la marque de prêt-à-porter Atelier Usages. Activistes d’une « mode utopique » — artisanale, écologique et locale — ils s’inspirent de la nature et des savoir-faire traditionnels pour fabriquer des vêtements utilitaires qui ont une histoire. Après deux ans passés à Romans-sur-Isère, c’est à Nantes qu’ils poursuivent leur rêve bien concret.
Comment est né le projet ?
On avait des envies de changement après nos expériences professionnelles passées (dans le design textile pour l’une, le graphisme pour l’autre). On s’est retrouvés dans une maison en Creuse, pour réfléchir à notre projet. On voulait travailler sur la filière textile en général, la découverte des différents acteurs (filateurs, tisserands) nous a motivé à valoriser leur travail en se concentrant sur les produits finis, les vêtements. En tant que consommateurs, on connaissait la mode éthique, mais on a estimé qu’il y avait un manque sur l’aspect culturel du vêtement.
Qu’entendez-vous par là ?
Il s’agit de se demander ce qu’un vêtement raconte du lieu où il est produit et porté. En quoi est-il emblématique de la vie d’un territoire ? Que nous dit-il de ses habitants ? Par le passé, les réponses à ces questions allaient de soi : en Normandie, on portait du lin, dans le Sud méditerranéen, du coton, etc. Aujourd’hui, nos vêtements portent en eux l’histoire de la mondialisation. Nous voulions proposer des créations qui racontent une histoire plus locale et plus sensible.
Comment un vêtement reflète-t-il son territoire ?
Pour notre collection été, La Vallée, Philippine s’est inspirée de la géographie et de la nature de la Drôme où nous vivions. Dans le cadre d’une résidence avec les Ateliers Médicis, elle a expérimenté des teintures végétales à base de garance, la plante endémique de la région, et imaginé des sérigraphies à la main liées à la géologie du lieu, où cohabitent une nature fertile et une forte industrialisation. En quoi le motif et la couleur traduisent-ils l’expérience de vivre ici ? C’était tout le sens de la collection.
Votre choix d’être à la fois studio de création et atelier de fabrication rappelle l’ancien fonctionnement des maisons de couture. En matière de mode, faut-il revenir en arrière ?
On regarde en arrière pour s’inspirer de l’artisanat paysan, du domestic system du 18e siècle. Mais la commercialisation directe par la vente en ligne, la communication sur les réseaux, le patronage sur un logiciel open-source, tout cela fait d’Usages un projet éminemment contemporain.
Vous revendiquez une démarche artisanale et écologique, pourquoi ?
Notre projet est artisanal dans la façon de penser, de fabriquer mais aussi de commercialiser nos objets en toute autonomie. La mode éthique qui consiste à fabriquer en France, à partir de fibres venant de l’autre bout du monde ou recyclées ne nous semble pas suffisante pour amorcer un réel changement. Notre objectif est de sortir de la dynamique industrielle pour mettre les agriculteurs et les artisans au centre des moyens de production.
Pourquoi avoir fait le choix de revisiter les vêtements utilitaires ?
Nous fabriquons les vêtements que nous aimons porter, des coupes confortables et de belles matières. Comme la mode est sommée de se renouveler trois à quatre fois par an, elle n’a souvent plus grand chose à raconter. En optant pour des pièces utilitaires et intemporelles, nous voulons offrir un récit enthousiasmant sur l’écologie, sur le choix politique qu’incarnent nos habits.
Qu’est-ce qui fait la beauté d’un vêtement ?
La simplicité d’une coupe, sa qualité visuelle mais aussi sensorielle. La beauté des matières nous importe particulièrement : le chiné d’une laine ou de fibres végétales comme le coton et le lin. La qualité des fils donne au vêtement sa richesse, c’est pourquoi nous travaillons avec de jeunes tisserands qui redonnent sa gloire au tissage. Nous revendiquons la brutalité des matières et la sobriété des tons pour révéler la beauté d’un vêtement, loin des artifices chimiques de la mode actuelle. Il y a aujourd’hui une méconnaissance totale du textile, alors qu’il est le cœur du vêtement.
Quels sont vos projets futurs ?
Aujourd’hui, nous ne sommes que deux pour chercher des fournisseurs, produire et commercialiser nos pièces, ça représente une charge de travail intense. Nous voulons améliorer nos capacités de production en recrutant de nouvelles personnes et en revisitant notre positionnement, pour aller vers un vestiaire unisexe de pièces basiques et accessibles. On se pose aussi la question d’une gamme demi-mesure, qui nous permettra d’employer des textiles de grande qualité, comme la laine française, en quantité plus limitée.