Rencontre avec l’illustratrice Laura Daniel : « Les rêves sont pour moi une source inépuisable d’inspiration »
Laura Daniel est une illustratrice autodidacte, qui s’est faite connaître sur Instagram (@Laura_disegna) avec ses séries « Rêves » et « L’herbier imaginaire ». Tout commence par un sms, reçu un matin de décembre 2019. Une amie lui écrit qu’elle a fait un rêve où Laura apparaissait :
« J’ai rêvé qu’on te voyait dans un café. Tu dessinais et nous disait que tu allais sous l’eau au Cap Ferret pour dessiner des coquillages de toutes sortes. Que tu voulais reprendre la philo et t’installer dans la ville d’Apollinaire… »
Amusée, l’illustratrice décide d’en faire un dessin, une toile unique où se mêlent la terrasse d’un café, le fond de l’océan et un décor urbain fantastique. Le projet est né ! « Ce qui n’était qu’un jeu est devenu une série. Les messages privés que je reçois sur instagram, plusieurs centaines à présent, sont pour moi des sources formidables d’imagination. Je ne peux pas tous les dessiner, mais je les archive consciencieusement. »
Car raconter un rêve à une inconnue, qui de surcroît va l’interpréter à sa manière, n’est pas un acte anodin. « J’ai conscience de la générosité du geste, explique Laura. Les gens qui m’écrivent se confient sur une part intime d’eux-mêmes. »
Suggestion de lecture : “Interpréter ses rêves” d’Olivia Panella
Certes, les dessins de Laura ont en commun d’être légers et drôles, comme le sont souvent les rêves dont on se souvient au réveil. « La recette parfaite d’un rêve à dessiner est compliquée : il faut une histoire courte, dotée d’une image forte ou qui se déroule dans un décor marquant. Avec cette touche absurde propre au rêve ! Il n’y a que dans les rêves qu’Arlette Laguiller peut surgir d’un buisson au milieu de la cordillère des Andes à dos de dromadaire ! »
Avec sa patte personnelle, un trait faussement enfantin et un travail poétique des couleurs et du décor, Laura nous fait voyager dans l’imaginaire du rêveur : « J’aime dessiner les choses qui n’existent pas. » Forte du succès de sa série sur Instagram, elle se met au défi de participer à Inktober, un challenge international de dessin qui a lieu tous les ans en octobre. Chaque jour pendant tout le mois, elle s’astreint à publier un nouveau dessin. Pour ce nouveau projet, elle développe un herbier imaginaire. Les plantes de Laura n’existent pas, pas plus que les vertus qu’elle leur porte.
« J’avais vu passer sur les réseaux sociaux des photographies d’insectes vues au microscope. J’ai trouvé ça beau et étrange, ça m’a inspiré pour créer certaines plantes, tout en laissant aller mon crayon pour voir où mon imagination me mènerait. Je me suis beaucoup amusée à trouver des bienfaits pour chaque espèce. C’était une expérience vis-à-vis de moi-même, tant sur la conception que la réalisation du dessin », raconte l’illustratrice.
La série remporte un grand succès, alliant l’esthétique à l’étrangeté. « Ce qui me guide avant tout, c’est l’idée créatrice, je veux qu’elle soit intéressante. Ensuite viennent la composition et la réalisation, qui doivent être cohérentes et harmonieuses. Quand on publie un dessin par jour, il faut abdiquer l’idée d’un rendu parfait. En prenant plus de temps, j’aurais sans doute réalisé des dessins plus aboutis, mais ce qui m’intéresse c’est la magie du geste et de l’instant. »
Pour renforcer le sentiment de liberté lié au dessin, l’illustratrice n’informe jamais à l’avance ceux dont elle dessine les rêves. Pas de reproduction à la commande, pas de pression, mais un effet de surprise garanti quand l’heureux élu découvre sa publication Instagram. « Je vois ça comme un terrain de jeu où je peux expérimenter. C’est avant tout un plaisir ! J’essaye d’être régulière dans ma production, mais c’est avant tout une passion », explique Laura, dont l’activité principale – au sein d’une institution culturelle – n’a pas grand-chose à voir avec l’illustration.
C’est dans son quotidien pourtant qu’elle puise son inspiration. « Je suis le genre de personne qui a toujours un carnet dans son sac pour griffonner. Quand je le pouvais, j’aimais beaucoup m’asseoir en terrasse et croquer les passants. Sur les réseaux sociaux, je suis beaucoup d’illustrateurs mais je me garde bien de trop m’inspirer de leur travail. La limite est ténue entre la copie et le plagiat, surtout sur Instagram où beaucoup sont dans l’imitation. »
Avec plus de 10 000 personnes qui la suivent, Laura reconnaît que le réseau social a changé sa manière d’envisager le dessin : « On se frotte au regard de l’autre, c’est une forme de pression positive. Je continue à trouver fou que des inconnus m’écrivent pour me dire qu’ils aiment mon travail, c’est à la fois adorable et très déstabilisant ! ». En revanche, la jeune femme est soucieuse de préserver son intimité et s’expose peu. « Cela peut changer le rapport avec notre communauté. Je peux filmer ma main en train de dessiner, ou mes carnets de voyage, mais ce serait contre-nature pour moi de prendre la parole. J’aime mieux laisser parler mes dessins », conclue-t-elle.
Illustration couverture, crédit : Laura Daniel (@laura_disegna)