La Beauté des objets, G comme Gode
Pour évoquer la Beauté, Patrick Jouffret, designer français, a choisi de parler d’objets créés par l’humain pour accomplir ses rêves. Selon lui, au-delà des modes et des statuts, ils embellissent la fonction, rythment notre histoire et l’évolution de nos besoins. A travers cette sélection subjective, sous la forme d’un abécédaire, Patrick a la volonté d’explorer leur dimension cachée qui en font des pièces uniques, intemporelles et essentielles. Après la lettre F (comme Flûte), place à la lettre G… comme Gode !
Il y a 28000 ans, les humains sculptaient déjà des phallus dans de la pierre. Celui de la Grotte de Hohle, en Allemagne, est un bel objet en grès poli dont les gravures apportent des précisions anatomiques. Bien que sa dimension symbolique soit évidente, celle de l’objet destiné à procurer du plaisir reste à prouver.
Il nous faut remonter à la Grèce antique pour trouver les premières traces évidentes d’olisbos, ou godes. On peut penser que leur invention est liée à celle de l’outil et à la sédentarité. L’olisbos est le compagnon de l’absence et de l’ennui, mais il permet la découverte de son propre corps et l’exploration du plaisir. C’est ainsi qu’il accompagne les différentes évolutions des peuples.
Utilisé sans distinction sur les hommes ou les femmes, cet objet est d’abord venu combler le manque fonctionnel des fruits, légumes, morceaux de pains huilés et autres cierges utilisés jusqu’alors en offrant plus de douceur, plus de résistance et un choix de tailles et de formes.
Ensuite, on peut imaginer que la ressemblance avec le sexe de l’homme eut très tôt un effet d’excitation, vénéré en tant qu’emblème du plaisir extatique, en témoignent la précision anatomique, parfois caricaturale de ces premiers exemplaires connus. On retrouve également des représentations antiques de scènes prouvant l’usage ludique de l’Olisbos.
Il est surprenant d’imaginer à quel point ces objets furent intégrés à la vie quotidienne avant d’être stigmatisés comme scabreux ou obscènes par les dogmes religieux puis par le septième art (apparition dans les premiers films pornographiques au début du XXème siècle).
Par exemple, la littérature et les céramiques de la Grèce antique témoignent de leur usage décomplexé. En 411 avant JC, Aristophane écrit une comédie dans laquelle sont mentionnés les “Olisbos et leur usage par les femmes en l’absence de leurs maris“. Ici les femmes se rebellent contre la domination des hommes et leur appétit pour la guerre, avec la volonté d’inverser les rôles en déclarant la grève du sexe ! Ces témoignages contrastent avec l’image de ces peuples que l’histoire nous enseigne.
À travers les âges, leurs matériaux, leurs formes et leurs tailles ont varié pour des raisons pratiques, esthétiques ou fantaisistes. Les Grecs de Milet en fabriquaient avec du cuir graissé qui recouvrait du bois ou de la laine. Outre les cornes et les os, en Chine on les fabriquait en bois laqué, puis les verriers de Murano produisirent de somptueux spécimens pour les élites du XVIème au XVIIIème siècle.
Si on les regarde du point de vue du designer, on est frappé par la fusion entre forme, matière, fonctionnalité et symbolique. Rares sont les objets du quotidien regroupant autant de puissance à commencer par la force de vie séminale, glorifiée par les rites Dionysiaques. De plus, le gode est une forme d’orthèse amovible qui permet d’augmenter ses propres capacités… la seule dans ce genre.
Au-delà de sa fonction utilitaire, il est également support d’expression, parfois comique mais souvent subtil. Outre leur complexité permettant de contenir de l’eau chaude ou du lait, les exemplaires de Murano rivalisent de beauté faisant oublier la ressemblance anatomique.
On relate qu’au Japon, avant les campagnes militaires, certains seigneurs offraient des olisbos sculptés à leurs amantes pour rappeler leur devoir de fidélité.
Aujourd’hui, plus que jamais le gode trouve sa place dans notre société morcelée. L’individualisme et la solitude génèrent à nouveau le besoin de s’affranchir de l’autre. L’évolution sémantique autour de l’objet à progressivement gommé le “sex” de “sextoys” pour n’en garder que le “jouet”. Simplification pratique qui renvoie au jeu, à l’enfance, à l’envie d’immortalité et qui dédramatise l’usage d’un tel engin. De plus, l’évolution des réseaux de distribution, avec Internet, a fait tomber des remparts culturels qui ont permis de toucher de nouvelles cibles, un marché moins initié en recherche de compagnons de solitude ou d’expériences.
Grâce au silicone, les marques ont pu démocratiser la fabrication en explorant des formes plus abstraites et jusqu’alors impensables en grande série ouvrant leur porte à ces nouveaux utilisateurs. Des géométries et des lignes qui s’éloignent progressivement ou radicalement du phallus pour explorer l’anatomie avec plus de précision et d’efficacité.
En effet, l’olisbos moderne est né des découvertes récentes sur l’intégralité du clitoris dans le plaisir feminin, de celui de la prostate dans le plaisir masculin et des avancées technologiques en termes de matériaux et de vibration ou aspirations. Du Magic Wand aux masseurs clitoridiens, les godes explorent de nouvelles directions et se démocratisent.
Plus récemment, la communauté LGBT a fait évoluer les formes en s’éloignant de toute ressemblance phallique.
Le gode est l’objet usuel par excellence, matérialisant l’axe autour duquel tourne l’humanité, pas simplement le phallus mais le sexe. Il est le témoin d’une autre histoire, celle que les dogmes religieux ont voulu masquer. Un humble objet qui nous relie à notre humanité.