Le Rendez-vous des divinités : dans le sillage de Perséphone et d’Hécate
Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.
Le puissant portail de Samhain, le 31 octobre dernier, a aminci les voiles d’un monde à l’autre, nous guidant vers six semaines d’obscurité plus intense jusqu’au Solstice d’Hiver.
Les énergies de ce passage nous ont conduits vers la Nouvelle Lune en Scorpion et un Portail lunaire important dans ce mois de novembre empreint de brumes, coloré des premiers frimas et des premières neiges, teinté de spiritualité et de mysticisme comme les Anciens le vivaient déjà en fêtant leurs morts comme un passage transitionnel vers une nouvelle année et un renouveau. Ce cycle Vie-Mort-Vie, très présent et très respecté dans l’Antiquité, rejoint parfaitement ce que nous invite à faire l’Archétype de la Queen of Death, cette Reine de la Mort qu’Alexandra Fryda Marty nous a présentée et décrite comme une accompagnatrice durant cette saison pour que nous cheminions, que nous descendions en nous, et que nous explorions nos parts et zones sombres. Une volonté puissante de mettre la lumière sur ce que nous ne voulons pas forcément voir ni vers où nous ne tenons pas à aller, le cœur ouvert…
Et pourtant, la Queen of Death a tant à nous montrer, à nous apprendre, et elle a tant à nous faire abandonner pour plus de légèreté, d’élan et de renouveau, en nous faisant transformer, alchimiser, nos parts sombres en parts de nous lumineusement intégrées à la fin du voyage.
Les Anciens, dans l’Antiquité, avaient forgé dans leur Mythologie et Culture un cycle lié aux Magiciennes-Sorcières qui étaient particulièrement mises à l’honneur dans ces temps sombres au coeur de l’Automne et dans le passage à l’Hiver, une saison obscure, dénudée, et aux terres en jachère, mais une saison qui, en souterrain, prépare la renaissance par les pousses qui germent au chaud du creuset de la Terre-Mère, prêtes à éclore pour fêter le renouveau de la belle saison lumineuse au printemps.
Dans le précédent article sur Thémis, il était question du mythe de Perséphone qui, enlevée par le dieu des Enfers, Hadès, descend dans les souterrains, en quittant sa mère Déméter.
Les Anciens expliquaient de cette façon la cyclicité des saisons entre les saisons lumineuses, radieuses et prolifiques et celles plus sombres, moins généreuses et plus rigoureuses.
Cette descente dans le monde souterrain des Enfers symbolise l’Archétype de la saison du Scorpion, la Queen of Death, appelée aussi l’Alchimiste, la Magicienne ou encore l’Enchanteresse.
En effet, la Queen of Death nous prend par la main et, à l’aide de sa torche, elle nous fait traverser la saison obscure tout autant qu’elle nous aide à traverser nos peurs, nos doutes, nos craintes, et à abandonner nos vieux bagages devenus trop lourds, trop encombrants, et éclairant ce que nous devons quitter ou ce qui doit nous quitter pour assumer pleinement notre souveraineté, notre place, notre légitimité, tout comme Perséphone, qui, de jeune fille Korè en grec, naïve, candide, dépendante de sa mère, devient par cet épisode Reine des Enfers, se faisant sa place aux côtés de son époux, Hadès.
Perséphone devient même une Divinité crainte. Son étymologie en témoigne et les références à la poésie grecque du VI° siècle avant J.C. en attestent : elle est Celle qui produit autant que Celle qui détruit. À Rome, elle est Proserpine « l’Effrayante ». Elle est même parfois à Athènes surnommée Perséphatta « qui règle la destruction », comme la « désorganisation structurée » de cette mort de la Nature mais qui redonne la vie chaque année.
Perséphone bénéficie d’un anthropomorphisme la faisant incarner la jeune fille qui devient femme à un moment de sa vie et de son évolution. La grenade, fruit d’hiver, symbole de la Déesse, dont elle mange les graines, la fait irrémédiablement rester aux Enfers. La grenade, dans la Mythologie antique, par sa couleur rouge, est associée à la fécondité féminine et au sang des menstruations. La fertilité de Perséphone est actée lorsqu’elle remonte à la lumière au printemps assurant le renouveau après la germination hivernale. Ainsi, d’innocente vierge, elle devient la femme initiée qui connaît les mystères de l’obscurité et de la mort.
Derrière le mythe de cette catabase, signifiant la descente bouleversante en grec ancien, se trouve ce message que Perséphone, par la nouvelle situation à laquelle elle a dû faire face, a laissé derrière elle son passé, sa naïveté, et en descendant dans les profondeurs des Enfers, elle s’est trouvée confrontée aux profondeurs de sa psyché pour regarder en face ses blessures, ses zones d’ombre, elle a vu ce qui avait été déterré pour y faire face sans détourner le regard, et ainsi, grandir, se responsabiliser, se réapproprier son pouvoir pour pleinement incarner sa souveraineté et assumer sa place légitime. La jeune fille est devenue la femme qui s’assume et qui rayonne grâce à l’or qu’elle a su obtenir par l’alchimie de son plomb.
Comment ne pas établir de lien étroit avec la Grande Hécate ?
Déesse grecque ancienne et mystérieuse, fille de Titans, elle est une Divinité pré-olympienne, qui incarne autant la Déesse de la Mort, que la Magicienne-Sorcière ou encore la Vieille Femme Sage assimilée au dernier cycle lunaire, quand le premier est attribué à la jeune Perséphone, la jeune fille, le blé en herbe, et que la Pleine Lune, symbole de la maturité, est associée à Déméter ou encore à Séléné, le blé mûr.
Hécate reste indissociable du cycle de Perséphone ; en effet, elle est associée au monde de la nuit, rôdant dans le monde des morts, précédée par les hurlements de sa meute de chiens, pouvant apparaître sous la forme animale de la chienne, de la louve ou de la jument. Hécate, la Gardienne des carrefours et des trois directions primordiales, les Enfers, le Ciel et la Terre, est souvent représentée tricéphale et avec des torches allumées dans ses mains, mais aussi munie d’un trousseau de clés pour ouvrir la porte des mystères de la vie et de la mort.
On dit qu’elle aurait été témoin de l’enlèvement de Perséphone et qu’elle aurait éclairé de sa torche Déméter partie à la recherche de sa fille. C’est pour cette raison qu’Hécate est toujours très étroitement associée à Perséphone : elle la précède quand elle entre aux Enfers et elle la suit quand elle en ressort, une protectrice de la jeune fille devenue l’assistante de la jeune femme, souveraine des Enfers.
Hécate possède la même ambivalence que Perséphone : elle est autant bienveillante que grondante. En effet, cette Divinité accompagne les mortels grâce à la lumière de ses torches dans le monde des Enfers pour leur montrer le monde des ombres mais elle est aussi appelée dans de puissantes incantations par les Magiciennes-Sorcières de l’Antiquité, telles que Circé ou Médée, pour un pouvoir qui peut se révéler maléfique. Lilith est une version d’Hécate à la chouette ululante qui lui est également associée.
Ce lien très étroit entre Perséphone et Hécate, entre les phases lunaires, les différents âges de la vie et cet épisode mythologique de l’enlèvement de la jeune Déesse, se renforce dans les bois de peupliers et de saules blancs où elles se retrouvent ou dans lesquels on les honore.
Le saule, particulièrement associé au rythme féminin et lunaire, est en grec ancien un arbre de genre féminin, relié à l’eau, car il aime s’épanouir sur les bords humides des lacs et des cours d’eau tout comme dans les prairies gorgées d’eau. Son bois est très prisé autant en herboristerie qu’en usage magique, utilisé dans des rituels de guérison, pour protéger contre le mal, et très souvent, les Magiciennes-Sorcières antiques confectionnaient leur balai dans une branche de saule, et c’est pour cette raison que la baguette de saule se retrouve dans les mains de plusieurs personnages de la saga Harry Potter.
Le saule est un arbre qui permet d’y voir clair, de mieux ressentir les messages véhiculés par l’intuition, les émotions ou les rêves, et d’accroître la puissance des idées.
Hécate comme Perséphone sont les phosphoroi, les porteuses de lumière en grec, les « phosphorescentes », les éclaireuses, pour traverser l’obscurité des souterrains du monde invisible, la pénombre du monde des morts, du royaume des ténèbres, sans avoir peur de cette noirceur mais en apprenant à la dompter comme le symbole de traverser ses craintes en les affrontant sans peur, en s’y confrontant et en grandissant grâce à elles.
D’ailleurs dans la Mythologie et la Littérature antiques, les héros ont un passage obligé dans leur parcours initiatique de catabase car cette descente aux Enfers leur permet de côtoyer leurs morts qui ont des messages de sagesse, des conseils avisés à leur prodiguer, pour participer à leur maturité et à leur accomplissement personnel, qu’il s’agisse d’Ulysse, d’Héraclès, d’Orphée, d’Enée…
On comprend alors combien Perséphone est liée à l’Archétype de la Queen of Death par son pouvoir de transmutation en ayant la capacité de dénouer des liens qui la rattachaient trop étroitement à son monde de jeune fille dépendante et fragile, à une place attribuée qui ne demandait qu’à éclore pour réellement exister sans rester dans l’ombre de Divinités plus matures et plus reconnues.
On aperçoit le lien évident entre Mythologie antique et Modernité de la vie où chaque jeune être a besoin de prendre son envol et de devenir véritablement qui il doit et veut être, en volant de ses propres ailes.
Perséphone a traversé le feu de l’épreuve initiatique, elle a pris conscience de ce qui lui arrivait et elle en a absorbé la quintessence afin d’y puiser une force transformatrice pour devenir une Femme, Gardienne et Maîtresse des Enfers, sans quiconque pour lui faire ombrage.
Perséphone nous offre un parcours de vie tout en profondeur, en intensité, en puissance, en richesse et aussi en complexité mystérieuse ; en effet, certaines versions mythologiques ne prennent pas Perséphone sous l’angle de la jeune fille surprise et apeurée par Hadès mais qui, poussée par sa curiosité, va jusqu’au bout de l’expérience avec en tête de se détacher de la protection trop oppressante de sa mère à son égard…
Perséphone, dans son ambivalence, dans sa dualité, nous invite à trouver la force et la capacité à faire mourir l’ancien, à dire OUI à la libération de certains liens, de certains conditionnements devenus inadaptés, de certaines croyances imposées, et de certaines habitudes qui rassurent autant qu’elles enferment et qu’elles empêchent…
Perséphone, très fortement reliée à la Queen of Death, comprend et célèbre les cycles de la vie en même temps que ses mystères. Elle se propose de nous éclairer dans cette descente en nous, en nos profondeurs, en nos entrailles…
Laissons-la nous guider et nous accompagner, laissons-la nous éclairer par sa torche, sa lumière, sa connaissance, son savoir, et laissons-lui la place de nous révéler à nous-mêmes.