Beauté : arrêtons de courir après le temps
Une part de nous souhaite remonter le temps, effacer ses traces et revivre une jeunesse révolue. « Le travail acharné chasse les rides de la tête et de l’esprit », soutenait Helena Rubinstein, entrepreneuse polonaise en cosmétiques au début du XXème siècle. Bien qu’un siècle plus tard les femmes aient fait leurs preuves dans la sphère professionnelle, les voici toujours bombardées de messages les incitant à combattre les signes du vieillissement. Produits « anti-âge » et promesses de jouvence ne font qu’alimenter leur course effrénée contre le temps. Mais que se passerait-il si elles changeaient de regard et embrassaient à cœur ouvert la vieillesse ?
Éternelle jeunesse
Au cinéma, dans la littérature et les chansons, tout y est pour nous faire croire qu’il n’y a rien de plus beau que la jeunesse ! Dans Belle de Jour (1967) de Luis Buñuel, Séverine, jouée par une Catherine Deneuve de 22 ans, est jeune et attrayante. À travers l’oeil du réalisateur, elle semble incarner les principales sources de valeur d’une femme : la juvénilité, la minceur et la beauté. Lorsque les personnages féminins plus âgés sont mis en lumière, ils apparaissent moins désirables et déconnectés de la réalité, a contrario des protagonistes masculins qui, quels que soient leur âge et leur apparence, surgissent avec charisme et complexité. Des années plus tard, le cinéma français continue d’idéaliser la fleur de l’âge, comme dans Chambre 212 (2019) de Christophe Honoré. Le film présente Chiara Mastroianni (d’ailleurs fille de Catherine Deneuve) explorant les regrets et les désirs d’une femme d’une quarantaine d’années. Le film romantise et idéalise la jeunesse des personnages, tandis que leur maturité semble effacer leur attraction.
L’âgisme a commencé bien avant le cinéma, prenant racine dans la littérature. En 1842, Honoré de Balzac publie La femme de trente ans, décrivant son « anti-héroïne» Julie d’Aiglemont comme déjà âgée, perdant de jour en jour sa beauté… Georges Perec dévoile en 1965 Les Choses, où la jeunesse et la beauté deviennent alors une obsession, une quête éternelle pour les personnages de Jérôme et Sylvie, influencés par la société de consommation. La chanson française s’est également parée de paroles glorifiant la jeunesse absolue. Édith Piaf se dévoile nostalgique de ses jeunes années perdues dans La vie en rose, où elle semble associer l’amour à l’apanage de la jeunesse. Autant d’exemples qui ont nourri notre obsession pour nos années de fraîcheur et notre envie d’effacer les marques du temps. Ils prouvent que l’âgisme a pris sa place dans la culture populaire française. Les publicités, magazines et messages marketing liés à la cosmétique ne font que renforcer la volonté des femmes à effacer leurs rides pour « ne pas faire leur âge ».
Paisible sagesse
Lorsque les bébés naissent, ils fascinent par leurs cheveux soyeux et la douceur de leur peau. Les adolescents, parfois sujets aux boutons, surprennent par leurs changements physiques et leur énergie. Passé la vingtaine, le jeune adulte développe sa confiance en lui et éblouit par sa vitalité. À la trentaine, le visage laisse apparaître les premières ridules fines, offrant du caractère. Lors de la quatrième décennie, les cheveux commencent à se décolorer, l’épiderme s’affine et les traits se dessinent différemment. Plus les années s’accumulent, plus les femmes accueillent une sagesse qui les irradie. Car la beauté n’est pas un standard figé, mais une célébration de chacun de ces cycles de la vie.
En apprenant à apprécier chaque étape, le visage est bien plus serein et beau. Car les années de jeunesse sont parfois bien plus difficiles que dans nos souvenirs, où les doutes et les inquiétudes nous submergent. La maturité ouvre les bras à la gratitude et à l’amour de soi. C’est le temps de regarder en arrière et d’être reconnaissant de ses propres accomplissements.
Alors, les rides et les cheveux gris ne sont pas des signes à cacher. Ce sont les marques du temps qui prouvent que nous sommes bien en vie. À 78 ans, Charlotte Rampling apparaît sur les tapis rouges et les défilés les cheveux argentés. Cate Blanchett, Cécile de France et Sophie Marceau rayonnent toujours autant devant les projecteurs. Les marques du temps leur assurent du caractère et de la profondeur. Elles renforcent leur beauté naturelle. Elles célèbrent la maturité comme une force et non un obstacle. Rappelons que ces femmes, aussi inspirantes soient-elles, cochent de nombreuses cases imposés par les standards de beauté. Parfois même, certains ou certaines brandissent le très célèbre “C’est fou comme elle ne fait pas son âge!”, réduisant de nouveau la beauté à cette jeunesse éternelle. Alors, une plus grande visibilité de ces femmes matures oui, mais qui les représente dans leur complexité et leur différence. D’autant plus que lorsque cette beauté ne se conforme pas aux normes de jeunesse, elle devient alors particulière. Elle inspire les générations futures à changer les attitudes culturelles envers le vieillissement, en encourageant les femmes de tous les âges à embrasser leur propre beauté. Bien plus tôt, le philosophe romain Cicéron disait : « La beauté de l’âge mûr est la plus belle de toutes. » Tandis qu’Audrey Hepburn soufflait : « La beauté d’une femme n’est pas dans les traits de son visage mais dans la lumière qui traverse son cœur. » Ou bien, selon les mots du poète et écrivain polonais Stanislaw Jerzy Lec : « La jeunesse est un cadeau de la nature, mais la vieillesse est un art. »