La Beauté des Objets : K comme Kouglof
Pour évoquer la Beauté, Patrick Jouffret, designer français, a choisi de parler d’objets créés par l’humain pour accomplir ses rêves. Selon lui, au-delà des modes et des statuts, ils embellissent la fonction, rythment notre histoire et l’évolution de nos besoins. A travers cette sélection subjective, sous la forme d’un abécédaire, Patrick a la volonté d’explorer leur dimension cachée qui en font des pièces uniques, intemporelles et essentielles. Après la lettre J (comme Jarre), place à la lettre K… comme Kouglof !
C’est un gâteau de taille moyenne torsadé dans sa hauteur, de couleur brune avec à son sommet arrondi des amandes grillées disposées entre chacune de ses cannelures.
Ses reliefs rappellent les alcôves d’une falaise, un petit volcan qu’on regarderait d’en haut avec son cratère vide.
Le Kouglof est une brioche qui nous vient d’Europe centrale, d’Autriche ou d’Alsace.
Il existe autant de kouglofs que de couscous ou de tajines mais celui qui m’intéresse est celui-ci, moelleux, qui contient des raisins secs trempés dans le rhum.
Pourquoi cette forme ? La légende raconte que le premier Kouflof fut moulé dans un des chapeaux des Rois mages mais une autre hypothèse est que cette forme permet une texture et une cuisson homogène.
La texture est très importante. Pour qu’elle soit parfaite, ni trop cuite ni pas assez, il a fallu répartir la pâte à épaisseur quasi constante. C’est la raison première des cannelures et du cratère central. On retrouve le même principe pour la plupart des moulages de matière comme la terre, l’aluminium ou le plastique. Si les variations d’épaisseur sont trop fortes alors on a des soucis : retassures, retraits, craquelures, cuisson de pâtes hétérogène.
Pour accomplir cela, il a fallu créer des moules spécifiques et les Alsaciens ont puisé dans leur sol. À Soufflenheim, la terre locale leur a permis de faire des céramiques épaisses qui résistent à la chaleur contrairement à celle de Betschdorf plutôt destinée au froid et à l’acide.
Une fois retourné tête en bas, le moule est rempli de pâte sur les amandes préalablement disposées dans les concavités du sommeil. Lorsque le petit ventre replet du gâteau apparaîtra alors il sera prêt à enfourner.
Les moules en terre cuite sont vernis à l’intérieur pour faciliter le démoulage et leurs cannelures se transforment parfois en reliefs géométriques, et en ligne verticales ou torsadées.
À l’époque, en Alsace, on fait le kouglof dans les familles et pour le cuire, le boulanger du village prête son four aux habitants. Pour s’y retrouver il pouvait mettre un petit papier roulé avec le nom de la personne glissé dans le trou en haut du cratère ou reconnaître le propriétaire à la forme de son moule.
En ajoutant les variations de motifs à celles des formes, le moule est devenu un objet de décoration mais aussi un élément de personnalisation.
Le kouglof fait partie des quelques objets alimentaires dont la forme est unique. On peut citer les onigiris, les Cannelés (similaire), l’hamburger ou la Madeleine. Cette symbiose entre contraintes et plaisir est d’un tel accomplissement qu’elle fait du Kouglof un gâteau remarquable. Sa complexité qui rappelle les colonnes doriques grecques est un hommage à la beauté des choses qui ne durent pas.