Le rendez-vous des Divinités: Le Centaure Chiron et le dieu de la médecine, Asclépios
Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.
Le signe de la Vierge a coloré cette fin août et marquera une grande partie du mois de septembre, en harmonie avec l’Archétype de la Guérisseuse, auquel Alexandra Fryda Marty s’est intéressée dans son article.
Pour tisser Mythologie et Archétype de la Guérisseuse, il aurait pu être question des Magiciennes-Sorcières qui ont une connaissance fine des plantes médicinales et qui ont des fonctions de guérisseuses dans la société antique. Mais la roue de l’année nous conduira à ces femmes tout naturellement dans la période plus sombre de l’année, guidées par la Grande Déesse Hécate.
Pour ce mois de septembre et en parfaite adéquation avec l’Archétype de la Guérisseuse, nous parlerons du célèbre Centaure Guérisseur, Chiron, lié au dieu grec de la médecine, Asclépios, dont il sera question dans cet article.
Mais avant de rencontrer Chiron, intéressons-nous aux Centaures. Qui sont ces êtres mi-hommes, mi-chevaux qui interpellent en même temps qu’ils peuvent effrayer…. ?
Les Centaures étaient perçus chez les Grecs comme des hommes sauvages, personnifiant les forces de de la montagne et de la forêt : des êtres taillés dans le brut de la Nature, des chasseurs rugueux. On les représente avec un buste humain fixé à un corps de cheval, des armes qui sont des troncs d’arbres et des morceaux de roches, et malgré cette rudesse, malgré cette rugosité liée à leur nature sauvage, on leur attribue des pieds légers et infatigables leur permettant d’arpenter les chemins et les sentiers de cette Nature un peu sauvage, au relief parfois hostile, en montagne ou en forêt.
Les Centaures seraient issus de l’union d’Ixion, qui avait voulu séduire Héra, l’épouse de Zeus, mais ce dernier férocement jaloux, lui envoie Néphélé, la Nuée, avec l’apparence d’Héra, et ils s’unissent sur le mont Pélion, en Thessalie, en Grèce du Nord, région réputée froide et montagneuse.
Ils passent pour barbares et sauvages, représentant des appétits animaliers. Pour illustrer cette réputation, un épisode mythologique connu raconte que des Centaures, invités au mariage des Lapithes, leurs voisins, pour célébrer les noces du roi, Pirithoos, et d’Hippodamie, essayèrent d’enlever la jeune mariée et d’autres femmes (cet épisode a été sculpté sur les métopes, les vignettes en marbre, en haut du temple du Parthénon à Athènes mais aussi en haut du temple de Zeus, à Olympie). Ils furent chassés et rejetés suite à cet épisode de trahison.
Le plus célèbre des Centaures est Chiron qui revêt l’aspect bénéfique et positif de cette peuplade hybride entre hommes et chevaux. Chiron est appelé le Centaure blessé et pour cause…
Sa naissance est déjà marquée par une atmosphère de profonde violence et il connaît ainsi deux blessures originelles profondes : celles de l’abandon et du rejet.
Il est né de Philyra, la nièce de Cronos et de Cronos lui-même, qui la possède par le viol incestueux. Marié à Rhéa, et surpris par elle, il se transforme en étalon et s’enfuit, abandonnant ainsi Philyra à sa douleur et à son chagrin. Chiron sera abandonné par Cronos qui ne reconnaîtra jamais sa paternité.
À sa naissance, Philyra constate la créature qu’elle a enfantée : mi-homme, mi-cheval et ne peut supporter la vue de ce monstre. Elle supplie aussi fort qu’elle le peut les dieux d’être métamorphosée pour ne plus avoir à endurer l’abandon de ce fils qu’elle ne peut se résoudre à reconnaître et à aimer. Elle sera transformée en tilleul. Et on dit que Chiron sera nourri par la sève du tilleul et que le bruissement de ses feuilles transmettait des messages au jeune Centaure, comme si Philyra désirait malgré tout veiller sur ce fils qu’elle avait abandonné.
Chiron est recueilli sur le Mont Pélion en Thessalie par le dieu Apollon, associé au Soleil, qui l’adopte et lui enseigne tout son savoir, lié à la culture et à la civilisation : la philosophie, le raisonnement, la prophétie, l’art de tirer à l’arc et de jouer de la lyre, la poésie, la médecine, la guérison.
Artémis, la sœur jumelle d’Apollon, associée à la Lune, vivant dans les montagnes et forêts, lui enseigne l’art de la chasse, de la vie sauvage et primitive, elle lui transmet toute sa connaissance et son respect de la Nature, dont la science des végétaux et les propriétés des plantes médicinales, et elle lui enseigne les propriétés et influences des corps célestes.
Et à son tour, dans sa bienveillance et dans sa sagesse, c’est tout naturellement que Chiron va enseigner pour transmettre. Il va dépasser sa solitude, son mal-être en s’élevant par la connaissance, il va traverser ses deux blessures originelles en apprenant d’elles et c’est avec patience et passion qu’il va transmettre une sagesse, une expérience, liées à ce qu’il a vécu, à ce qu’il a su réinventer de lui-même, à des héros et à des figures célèbres de l’Antiquité grecque ; parmi eux, on retrouve Ulysse, Thésée qui combat le Minotaure, Jason, le héros de la Toison d’Or, les jumeaux Castor et Pollux, Héraclès, et un célèbre héros de la Guerre de Troie, Achille, pour qui il va vraiment devenir une figure paternelle.
Il est leur tuteur, leur instructeur, un bon pédagogue, qui sait transmettre ce qu’il a appris.
Chiron est également tourné vers la relation aux autres : il saura conseiller, guider Achille, mais aussi son ami Pélée, à qui il donnera de précieux conseils de patience pour séduire la nymphe Téthys, de respect sur le rythme de Téthys à se tourner vers Pélée, sur l’acceptation du cheminement pour parvenir à Téthys.
Enfin, il enseignera au futur dieu de la médecine, Asclépios, ou Esculape : Chiron transmet ses connaissances patiemment acquises sur le monde des animaux, celui des plantes et de leurs vertus thérapeutiques, les particularités de guérison par la musique, mais aussi la connaissance des corps célestes pour aller jusqu’à détourner, voire prévenir les influences funestes à l’humanité.
Humaniste, philanthrope, protecteur et pédagogue, il rassemble en lui l’évolution du Centaure : d’Ixion et des Centaures néfastes à lui, c’est comme passer du barbare au civilisé.
Et Chiron n’est pas un Centaure comme les autres, on l’a vu, mais il a cette part de spiritualité fortement ancrée en lui car il est associé à des pratiques anciennes qui consistaient à entrer en contact avec les dieux : des patients venaient en masse le consulter dans son temple de guérison, situé dans une grotte, au pied du mont Pélion, ils y dormaient et visualisaient en rêve leur maladie et la façon d’en guérir. Il pratiquait également l’hypnose afin que le patient reprenne possession, qu’il récupère, toutes ses connaissances liées à ses vies antérieures.
Il est réellement celui qui guide, il est celui qui appelle les esprits supérieurs et les dieux comme pour relier, à l’image d’un pont, la base et la cime, la terre et le ciel.
Enfin, son nom même Chiron est lié à la « main », qui en grec se dit cheiros, la main au service du cerveau, la main qui guérit, qui a donné la chirurgie, la chiropractie comme la chiromancie.
Blessé malencontreusement par Héraclès, il ne meurt pas, et saura soigner sa blessure par la plante cicatrisante de la petite centaurée. Depuis cet épisode mythologique, le nom de Centaurea sera attribué à la famille de ses plantes aux nombreuses vertus.
Malgré la terrible blessure infligée par la flèche empoisonnée au sang de l’Hydre de Lerne que le héros Héraclès a vaincue, Chiron ne meurt pas mais sa souffrance est insupportable au point de demander le sacrifice de sa vie pour faire bénéficier Prométhée de son immortalité.
Zeus accède à sa demande, pouvant bien exaucer la requête de Chiron, las d’avoir combattu toute sa vie, et il le transporte dans le ciel, l’inscrivant au sein de l’uranographie céleste antique, dans la constellation du Centaure.
Il existe un astéroïde appelé Chiron, découvert par un astronome américain le 1° novembre 1977, il constate que cet astéroïde traverse l’orbite de Saturne, soit Cronos, pour approcher celle de Jupiter, Zeus, puis la retraverse pour se diriger vers celle d’Uranus : ce parcours s’éloigne de la régularité des autres planètes et lui donne de ce fait une allure marginalisée, solitaire, qui ne pouvait que s’apparenter au parcours hors-normes et à la solitude de Chiron, le centaure bénéfique qui devait trouver sa place parmi les dieux. L’astéroïde qui traverse ainsi les planètes est assimilé au guide et au passeur que fut Chiron.
À Chiron est intimement lié Asclépios, le dieu de la médecine grecque, appelé plus tard chez les Romains, Esculape. Asclépios est le fils du dieu Apollon et de la nymphe Coronis. Le dieu ayant pressenti l’infidélité de celle qu’il aimait charge une corneille de couleur blanche, certains diront un corbeau blanc, d’épier en son absence Coronis.
La jeune femme entretenait une relation avec un mortel du nom d’Ischys et la corneille, ou le corbeau, confirma à Apollon ses doutes : fou de colère et transpercé de douleur, il changea à tout jamais la couleur de l’oiseau en noir et on raconte que c’est depuis cet épisode que les corneilles comme les corbeaux sont noirs et ont été longtemps tenus pour présages de mauvaises nouvelles ou de mort prochaine.
Apollon demande à sa sœur, Artémis, de cribler de flèches l’infidèle Coronis mais au dernier moment, il se ravise et décide de sauver l’enfant prêt à naître en l’arrachant du ventre de sa mère. C’est ainsi qu’Asclépios fut sauvé. Apollon le confie à Chiron qui en prend soin, l’élève et devient son précepteur.
Plusieurs versions concernant Asclépios sont connues sur ses pouvoirs de guérisseur : un mythographe du nom d’Apollonios écrit que c’est la déesse Athéna qui offrit à Asclépios le sang de la Gorgone pour ramener les morts à la vie ; un autre écrivain du nom d’Hygin raconte que se trouvant dans la maison d’un malade gravement atteint, Asclépios vit un serpent venir à lui et s’enrouler autour de son bâton, il le tua mais il en vit un autre s’approcher, une herbe dans sa gueule, qui ressuscita par cette herbe le serpent tué.
On raconte alors que le caducée viendrait de cet épisode, de même la symbolique positive et thérapeutique du serpent ainsi que la connaissance de l’herbe qui permettait à Asclépios de ressusciter les morts. La valeur accordée par les Anciens au serpent s’explique par le fait qu’il mue et, par ce changement de peau, il symbolise la jeunesse éternelle, il était considéré comme se régénérant au contact de la terre et il est celui qui en connaît toutes les profondeurs et les mystères.
Avec son épouse Epioné, qui signifie « la calmante », Asclépios eut des fils et des filles dont les plus connues sont Hygie et Panacée : Hygie qui signifie « la santé » et qui règne sur « l’hygiène » (qui étymologiquement veut dire « qui règne sur les pratiques qui assurent la santé ») et là, on établit un rapport avec une des caractéristiques de la Guérisseuse en Vierge, la propreté.
Enfin, héritage lexical : aujourd’hui, on trinque en Grèce en se disant hyguia sou : « à ta santé ».
Panacée est celle, comme son nom l’indique, qui donne aux hommes tous les remèdes par les plantes. Et ce nom est devenu un nom commun « la panacée » qui désigne un remède à tous les maux. D’ailleurs, quand on dit, ce travail n’est pas la panacée, on est dans une expression proverbiale héritée de notre chère Grèce antique.
Asclépios avait aussi comme fille Méditrine la Guérisseuse, qui donne médecine et médecin, mais sur laquelle des informations très peu nombreuses nous sont parvenues, éclipsée par ses sœurs Hygie et Panacée.
Hygie avait pour attribut une coupe qui permettait d’effectuer des mélanges guérisseurs, de récupérer le venin des serpents, comme un chaudron où mitonnent les potions magiques… et cette coupe autour de laquelle s’enroule un serpent est devenue le symbole de l’Ordre des Pharmaciens.
Comme dieu de la médecine, Asclépios était adoré dans les forêts, près d’une source réputée bénéfique et en altitude pour respirer un air pur.
La ville d’Epidaure lui consacre un temple et un théâtre pour les vertus thérapeutiques affiliées au théâtre qui permettait dans l’esprit des Anciens, par le procédé de la catharsis, de se purifier de ses mauvaises passions et, par le spectacle, de mettre en miroir ce qui était joué sur scène et ce que chacun pouvait vivre dans sa propre vie.
Les prêtres-médecins allongeaient pour la nuit les patients qui venaient au temple, sous un portique d’incubation, où Asclépios leur apparaissait en songe, sous la forme d’un serpent, et il indiquait les remèdes qui devaient les guérir. Ces remèdes étaient inscrits par les prêtres sur des tablettes suspendues au temple : ainsi, l’oniromancie, la divination par les rêves, était née.
Les malades guéris remerciaient le dieu et offraient des ex-voto sous forme de divers objets ou des inscriptions sur des plaques exprimant toute leur gratitude au dieu.
Esculape, qui est le nom latin d’Asclépios, est devenu en phytothérapie l’appellation d’un complexe d’huiles essentielles pour faciliter la respiration lors des premiers frimas de l’automne et de l’hiver.
On voit combien Chiron comme Asclépios ont laissé derrière eux des pratiques magiques, des traces lexicales de mots crées à partir d’eux, et des symboles très puissants encore en vigueur aujourd’hui.
On s’aperçoit à quel point l’Antiquité a laissé de fabuleux héritages et combien elle a cristallisé tant de savoirs, combien elle était sensible aussi à ce précieux équilibre entre terrestre/céleste et humain/divin, combien elle laissait la place à l’écoute de la Nature mais aussi à ce que nous ne pouvons pas toujours comprendre ni formuler de façon rationnelle et qui pourtant nous apporte, nous élève et nous amène aux voies de la Guérison.