Vivre en harmonie : la quête de la permaculture
Depuis les années 80, la permaculture a tracé une voie nouvelle dans nos manières de produire ce que nous mangeons. Prendre en compte la biodiversité, laisser faire la nature et transmettre des savoirs anciens, voilà trois principes qui guident une génération d’agriculteurs écologistes et en quête de sens.
La révolution commence par un brin de paille : c’est la théorie du microbiologiste japonais Masanobu Fukuoka, qui publie en 1975 le récit de son expérience de retour à la nature sur l’île de Shikoku. Ayant démissionné d’un poste administratif à l’âge de 25 ans pour devenir cultivateur de riz et de céréales, ce scientifique spécialisé en pathologie végétale (les maladies des plantes) fait alors le constat qu’en limitant au maximum l’intervention humaine, il obtient un meilleur rendement sur ses terres. Dès lors, il développe une méthode d’agriculture naturelle qui repose sur le laissez-faire, l’absence de pesticides et d’engrais chimique… Et le paillage du sol : « C’est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux, l’irrigation. Concrètement et théoriquement, l’utilisation de la paille en agriculture est un point crucial. Il me semble que c’est quelque chose que je ne peux faire comprendre aux gens. »
Il faut dire que son approche est à contre-courant : les années 70 sont celles de l’invention du glyphosate et de la commercialisation massive du Roundup par Monsanto. En parallèle s’organise la résistance : elle sera menée par des biologistes écologistes tels que les australiens Bill Mollison et David Holmgren qui publient en 1978 Permaculture One. Citant Fukuoka comme leur source d’inspiration, ils avancent alors l’idée d’une « agriculture permanente », fondée sur le modèle d’écosystèmes naturels et le réveil de traditions séculaires. Celle-ci garantirait l’autosuffisance et la résilience nécessaires pour lutter contre les effets délétères de l’agriculture intensive. Plus qu’une manière de cultiver la terre, la permaculture est aujourd’hui un concept éthique reliant l’homme à la nature, une philosophie de vie pour ses adeptes de plus en plus nombreux.
« Au-delà de ses principes fondateurs, chaque personne peut se faire sa propre idée de la permaculture. Pour moi, il s’agit d’être en harmonie avec la nature, et donc avec soi-même, explique Augustin Arbon, maraicher en permaculture dans les Landes depuis trois ans. La notion de respect est essentielle. » Avec l’engouement du retour à la nature, tout le monde peut désormais expérimenter la permaculture, en se formant en ligne ou en faisant du woofing dans des fermes. Mais monter une initiative pérenne et rentable demeure difficile. « Débutant cette activité, je me considère plus comme maraicher que permaculteur, car je dois concilier ces principes avec la nécessité de gagner un revenu décent. Pour vivre aujourd’hui de la permaculture, il faut pouvoir valoriser sa production et ainsi appliquer des tarifs plus élevés, diversifier ses sources de revenus. » C’est ce que font les figures phares de la permaculture, qui éditent des best-sellers, vendent leurs légumes à des chefs étoilés et forment à tour de bras de nouveaux adeptes.
Pour autant, la permaculture a de nombreux atouts : elle nécessite peu d’investissement, car non mécanisée, et s’adapte parfaitement aux petites parcelles dont elle optimise le rendement. Elle est aussi possible en ville, sur le modèle des jardiniers-maraichers parisiens qui ont rendu la capitale autosuffisante durant la seconde moitié du XIXe siècle. Les cultures sont resserrées, associées à des variétés complémentaires et se succèdent toute l’année sans interruption. La terre, nourrie par la paille et peuplée de micro-organismes, est plus fertile et donne des résultats qui surpassent ceux de l’agriculture conventionnelle. La chaîne alimentaire entre insectes ravageurs et auxiliaires, petits animaux et oiseaux de proie est respectée, malgré les pertes que cela peut représenter.
« C’est une approche qui questionne, offre autant de prises de tête que de petits miracles, et c’est ce qui la rend passionnante ! Il faut être curieux, toujours essayer de s’améliorer et faire preuve de bon sens, résume Augustin. C’est aussi l’éloge de la patience : je sème des tomates en février, en sachant que je n’aurais pas de fruits avant juillet. » Il faut s’armer de courage, mais la récompense est à la hauteur, dans le sentiment d’adéquation entre ses valeurs et ses actes. « La question du sens m’anime. Je fais ce métier pour les autres, parce que j’estime que tout le monde a le droit d’avoir accès à des légumes sains, nutritifs et qui ont du goût. » Ancré dans la révolution écologique, l’horizon de la permaculture est vaste et ne se limite pas à l’alimentation : il s’agit de réparer, recycler, manger et vivre autrement, en harmonie avec soi-même et son environnement.