Le rendez-vous des Divinités : Artémis, la Déesse Sauvage
Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes féminins que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.
Nous sommes entré.e.s dans le signe du Lion, marqué par le Portail du Lion et la Nouvelle Lune en Lion du 8 août dernier, mais également empreint de l’Archétype de la Femme Sauvage, dont Alexandra Fryda Marty a si bien capté l’essence dans son article.
Qui dit Sauvage, dit Libre, refusant tout type de domestication, de soumission, d’oppression. D’ailleurs, l’adjectif « sauvage » vient de la source étymologique latine « silva », la forêt et « sauvage » comporte cette vie dans les bois, cette vie au plus près de la Nature, dans ce qu’elle peut avoir d’inhabité, d’hostile même.
Quand on aborde les Divinités à l’aspect primitif, ou sauvage, on peut penser à Cybèle, la Déesse-Mère primordiale honorée par un rituel plutôt violent et sanglant, mais c’est à Artémis, la Déesse grecque des bois, des forêts et de la Lune que nous consacrerons cet article.
Diane en latin est Artémis en grec et cette Déesse est la sœur jumelle du dieu solaire Apollon.
Artémis, fille de Zeus et de Létô, naît avec Apollon sur l’île d’Ortygie, l’île aux cailles, qui deviendra l’île de Délos, dans la mer Egée, au milieu des Cyclades. On dit que c’est la messagère des dieux, Iris, à l’écharpe arc-en-ciel, homologue féminin d’Hermès, qui vient assister Létô qu’Héra a punie par jalousie en la contraignant à errer à travers toute la Grèce pour y trouver refuge. Iris lègue une partie de sa symbolique en appelant l’île d’Ortygie, Délos qui signifie « l’éclatante, la lumineuse ».
Cette île était réputée pour être, avant la naissance d’Artémis et d’Apollon, très aride et très hostile donc aux aspects sauvages, une île non domestiquée par l’homme. Délos devint par la suite une île reconnue et joua un rôle important en Grèce en tant qu’alliée d’Athènes sur le plan économique et commercial. Une Terrasse aux Lionnes, en marbre blanc de Paros, fut érigée en guise de protection du sanctuaire d’Apollon comme une entrée du monde sauvage au monde civilisé. Certains y voient une façon d’honorer le monde d’Artémis avant de pénétrer dans celui d’Apollon.
Artémis, née sans difficultés, joua un rôle crucial dans la délivrance de sa mère, Létô, car, encore bébé, elle l’aida à s’adosser à un palmier et à la faire accoucher d’Apollon. Depuis cet événement, Artémis est associée aux naissances. Cette Déesse s’inscrit très tôt dans une veine atypique pour une divinité féminine.
Artémis est assimilée dès l’origine à la Vie Sauvage, apportant la fertilité aux humains comme aux animaux. C’est une chasseresse avec pour attributs les flèches, rangées dans son carquois, et l’arc qu’elle manie avec une force et une dextérité très masculines. Elle fait partie de ces Déesses qui ont en elles une part de puissance virile qui les marginalise au point de les rendre exceptionnelles.
Artémis possède cet aspect masculin de la chasse et de la forêt, domaine et lieu sur lesquels elle règne en Souveraine. La biche est l’un de ses animaux fétiches avec le cerf, le chien, mais aussi le lion et la panthère dans les cultes orientaux.
Très jeune, la Déesse réclame à son père Zeus de porter une tunique courte « à la garçonne » pour être libre de ses mouvements lors de ses courses en forêt, mais elle lui demande aussi de vivre au grand air sans contraintes et de posséder toutes les montagnes. Son père exauce ces voeux et bien d’autres comme celui de rester éternellement vierge et d’être entourée d’un essaim de nymphes vouées à son culte.
N’oublions pas qu’Artémis protège les Amazones, ce peuple de femmes guerrières dont le nom d’origine arménienne signifie « Femmes de la Lune », ce sont des chasseresses, qui pratiquent l’ablation d’un sein pour mieux porter l’arc et en signe d’appartenance forte à cette tribu ; elles se veulent indépendantes de la domination de l’homme.
Artémis est dotée de nombreuses épithètes reflétant ses différents rôles : elle est appelée entre autres « Patronne des animaux sauvages », « Reine des Marécages », « La Bruyante » pour sa voix qui claironne afin de mener sa meute de chiens, mais aussi « Porteuse de lumière et de torches » pour guider les personnes égarées de nuit dans l’obscurité des bois, et enfin « Patronne des Naissances », « Protectrice de la Jeunesse ».
Ainsi, Artémis entretient un lien très fort avec les jeunes femmes qui se destinent à devenir épouses et mères. Elle est même perçue comme une Déesse nourricière à Ephèse, en Asie Mineure, où son temple faisait partie des Sept Merveilles du Monde Antique.
Une statue la représente aux multiples seins et avec des animaux primaires comme le taureau, le lion, le cheval aux côtés d’abeilles et de fleurs. Elle succède alors dignement à la Déesse-Mère primordiale, Cybèle.
Fascination et magie résident en Artémis car elle est la Femme Sauvage qui « court avec les loups » et qui guérit par les plantes qu’elle cueille dans les bois et forêts ; d’ailleurs elle transmet ce savoir botanique à Chiron, le Centaure blessé guérisseur en lui confiant le coffret de plantes médecines. Elle est très connectée à la Nature, aux éléments, aux arbres, au monde végétal comme animal.
Une plante fort utilisée dans l’Antiquité par les sages-femmes, l’Artemisia, autrement dit l’armoise, réputée comme la « plante des mères » mais aussi comme la « plante-mère » pour toutes ses vertus et propriétés antifongiques, digestives, fébrifuges, cicatrisantes, mais aussi pour sa réputation de plante magique autant bénéfique que maléfique selon l’usage qu’on en faisait. Ambivalence cultivée par la Déesse qui règne sur la vie de la Nature, qui veille sur les femmes enceintes, douce protectrice des jeunes enfants comme des jeunes animaux mais qui peut apporter la mort par les flèches qu’elle décoche.
Cette Déesse, nous le voyons bien, ne suit en aucune manière le cadre normé et traditionnel des Divinités féminines : elle ne choisit pas le masculin ou le féminin, elle adopte les deux sans demander l’autorisation à quiconque et en ne se souciant pas de l’image qu’elle donne. Elle dessine sa vie selon ses propres couleurs et au rythme de sa partition personnelle.
Par ailleurs, Artémis est souvent apparentée à une Déesse lunaire, nourrissant ses biches et cerfs de trèfles, symboles de la Trinité lunaire. Elle est souvent représentée avec un croissant de lune sur son front et son arc d’argent symbolise la Lune.
Artémis est donc assimilée à la Vie Sauvage, à la nuit, à la vie des bois et des forêts, mais aussi des lacs et des marécages. Elle se plaît sur les sommets boisés, dans les bosquets, dans les fraîches clairières ombragées, voisines des sources. Elle est également la Déesse des eaux thermales, des fleuves et des rivages, la faisant même devenir à certains endroits de la Grèce la Patronne des pêcheurs et des marins.
Artémis, la Déesse sauvage, se laisse caresser par la fraîcheur d’un cours d’eau, n’hésite pas à s’y baigner nue, la brise effleurant son visage ou la chaleur ardente d’une après-midi d’été l’enveloppant de sa touffeur.
Artémis ne fait qu’un avec ce qui l’entoure dans la Nature, elle est certes dans une forme de retrait par rapport à la vie sexuelle et n’hésite pas à transformer en gibier un imprudent qui l’aurait surprise nue dans une rivière, comme le malheureux Actéon, mais pour autant la Déesse tombera follement amoureuse du bel Orion, se laissant aller aux délices de l’amour, même si cette histoire se finit tragiquement.
En tant que Patronne des clans totémiques, comme une Gardienne des traditions ancestrales primitives, on vouait un culte, appelé Brauronia, à la Déesse Artémis, lors duquel un rituel avait lieu où de jeunes filles se déguisaient en ourses à l’aide de peaux de bêtes, ou de robes couleur safran, elles dansaient, torches à la main, dans des postures primitives qui rappelaient toute la vénération vouée à la Terre-Mère, à la Nature, à la Vie sauvage, boisée et sylvestre.
L’Archétype de la Femme Sauvage est souvent assimilé à la Femme au tambour, à la nudité sans complexe ni tabou, à la danse ancestrale où le corps s’exprime sans rechercher une chorégraphie ciselée. Des études ont montré l’existence d’une danse spécifique à Artémis, le cordax pratiqué dans certains endroits de Grèce, une danse lascive et chaloupée qui correspond si bien à la Femme Sauvage et à la sensualité de l’été.
Cette part de nature et de sauvage se retrouve dans certains cultes féminins voués à Dionysos, le dieu de la vigne et des banquets : les Ménades et les Bacchantes s’adonnaient également à ce type de danse, de transe, de liberté. Ces femmes se plongent dans la transe et dans l’extase, vêtues de peaux de panthères, couronnées de lierre ou de feuilles de vigne, toutes deux possédant cinq pointes censées représenter la main créatrice de la Déesse-Mère, de la Terre-Mère. Ces Ménades, signifiant les enragées, portent de petits tatouages de cerfs sur leurs bras et visages et, par ces tatouages, elles devenaient non reconnaissables, elles se fondaient dans la Nature, et n’étaient plus au service de leur étiquette sociale et familiale.
Elles se promenaient de nuit, dévêtues ou très peu vêtues, dans les forêts et montagnes, elles hurlaient à gorge déployée comme pour crier à tue-tête leur liberté primaire retrouvée, renouant avec une nature originelle et se laissant envahir le temps de la célébration par cet instinct primitif. Elles buvaient de l’hydromel, un mélange d’eau et de miel fermenté à haute teneur alcoolisée. Elles dansaient et chantaient de tout leur corps comme pour exprimer, extraire, tout ce que leur quotidien confiné et rétréci leur faisait garder en elles et pour elles. Comme enthousiasmées par le pneuma du dieu qu’elles honoraient jusqu’au petit matin…