A comme Archet
Pour évoquer la Beauté, Patrick Jouffret, designer français, a choisi de parler d’objets créés par l’humain pour accomplir ses rêves. Selon lui, au-delà des modes et des statuts, ils embellissent la fonction, rythment notre histoire et l’évolution de nos besoins. A travers cette sélection subjective, sous la forme d’un abécédaire, Patrick a la volonté d’explorer leurs dimensions cachées qui en font des pièces uniques, intemporelles et essentielles. Débutons aujourd’hui par le A comme… Archet.
La plupart des instruments de musique actuels se jouent directement au contact du corps. Le violon a nécessité l’invention d’une prothèse afin d’imiter les sonorités de la voix humaine.
François Xavier Tourte a consacré sa vie à l’amélioration de la forme de l’archet. Comparé à Stradivarius pour les violons, cet archetier Français, horloger de formation, avait compris que la qualité d’un bon archet dépendait avant tout du bois utilisé.
L’archet moderne est donc né, sous ses doigts, au XVIIIème siècle grâce à l’utilisation du Pernambouc (Caesalpinia echinata) pour la fabrication des baguettes, un arbre à la croissance lente qui pousse sur les côtes du Brésil aux sols sablonneux ou argileux. Tourte choisit son bois pour ses caractéristiques uniques (densité, robustesse, élasticité). La matière première à contribué à faire évoluer la technique instrumentale tout comme le carbone dans le domaine du cycle.
L’archet est un objet humble. Son excellence réside en grande partie dans la qualité du bois et sa mise en forme. Bien plus que le violon, il tire de son concentré de contraintes une forme d’intemporalité. Le bon archet traverse l’épreuve du temps avec la même souplesse. Il est le lien entre l’intention et le son, disparaît entre les doigts pour ne laisser que les vibrations sonores.
À l’instar d’un katana, sabre Japonais, le châssis de l’archet est sa fonction première. Il n’y a pas de capotage, pas de pièce décorative qui n’ait un rôle essentiel. Cette fusion entre performance et beauté représente un absolu.
De la matière travaillée naît la structure qui devient sa forme. Au contact d’un tel objet, on en apprend un peu plus sur ce que signifie performance. Combien d’années de recherches, d’apprentissage pour arriver à une telle maîtrise avec du peu ?
Mais pour faire naître la magie sonore du violon l’arche de bois est associée à d’autres formes et matériaux : ébène, nacre, argent, crin de cheval. Chaque matériau est à sa place. Enfin, la beauté de l’archet vient aussi du rituel. La préparation qui nécessite de tendre le crin et de l’enduire de résine (la colophane). Le petit doigt qui crée le contrepoids sur le tendeur, le pouce calé dans la douce concavité d’ébène et la pointe qui équilibre le geste pour que la touche soit précise, réactive.
En plus du plaisir de l’œil et de l’ouïe s’ajoute celui de l’odorat avec l’odeur de sapin qui s’en dégage. Il est courant, de nos jours, de gommer dans les objets les stigmates d’une ère mécanique. Mais leur beauté n’est elle pas liée à cette complexité savante et à la connaissance qu’on en a ?
L’interdiction d’exploitation du bois de Pernambouc en 2007 est le drame des archetiers. Depuis deux cent ans personne n’a trouvé de substitut et les expérimentations en composite n’ont pu concurrencer ce matériau naturel.
Continuez cette découverte de la Beauté des objets avec le B comme Bicyclette !