Emotions Végétales 1 : Les sauvageonnes, ou la beauté des bords de route

Je décide d’aller cueillir des fleurs de bord de route pour m’aérer l’esprit après des heures passées devant l’écran. C’est une petite route de campagne, le temps est couvert et venteux. On ne croirait pas que la mi-mai est déjà là. Il a beaucoup plu et les herbes du bas-côté ont poussé d’un coup, la plupart sont déjà en fleurs.

Ce sont les couleurs pourpres qui attirent mon œil en premier : graminées aux doux plumeaux mauves, fleurs d’oseille dont la teinte approche le magenta. Ce n’est pas l’image que je me fais des couleurs printanières mais ce petit monde me charme au gré du vent qui fait danser les hautes tiges florales. Même le plantain lancéolé a rejoint la course avec des feuilles immenses et des fleurs, pompons longs, perchées à quarante ou cinquante centimètres du sol. Cette croissance exubérante me donne des frissons.

Sur mon chemin je rencontre deux belles fleurs charismatiques : la marguerite, avec ses grandes fleurs blanches au coeur jaune, telles des pâquerettes géantes, et l’ancolie. Cette dernière s’est probablement échappée d’un jardin car sa couleur ne m’est pas familière : un magnifique parme tandis que les ancolies des forêts d’ici sont plutôt bleutées. J’aime cette fleur qui regarde vers le bas. Elle nous montre son pédoncule velouté et j’imagine la nuque courbée d’une femme. Son port m’évoque une lanterne à pétales, un pendentif ébouriffé.

Je croise aussi deux belles Apiacées : l’une que je ne sais pas identifier, ses fruits sont fins comme du cumin, et l’autre que je connais bien. C’est la grande berce qui m’accompagne en cuisine depuis des années. Ses fruits sont charnus et sentent l’agrume. Les fleurs sont encore là, ombelles blanches majestueuses, volume bien mérité pour mon futur bouquet. Quelques renoncules balancent leurs boutons d’or au dessus de l’océan vert des herbes folles. Papillons solaires dans mon bouquet.

Je rentre et j’agence mes fleurs de bord de route. Les fleurs d’oseille sont placées en premier dans le bocal qui servira de vase, elles sont si grandes ! Je décide de ne pas les couper et assume un bouquet géant. Un bouquet d’aspect champêtre prend forme. Pas de fleur « star » qui accroche l’œil, juste des beautés discrètes qui dansent ensemble dans le vent et révèlent la grâce de leurs détails dans les photographies prises de près.

Une fois rentré dans la maison, le bouquet fait belle impression. Il est léger et imposant à la fois. Négligé et précieux. Un rayon de soleil se pointe et permet une contemplation à contre-jour, délicieuses transparences. Je m’y perds de longues minutes.

Il est là, devant moi, et me rappelle comme cette cueillette a mis du baume sur les maux de la journée. Il est là et sa fragilité créé un doux pincement dans ma poitrine. Sa force toute verticale me consolide, j’aimerais danser avec ses ondulations. Chaque regard lancé vers lui me transporte. Peut-être les prémisses d’un culte secret à la beauté des fleurs. Et vous, comment vous touchent-elles ?