Vivre en harmonie : la quête du design
Des fifties à nos jours, le design a accompagné la modernité en peuplant nos vies d’objets aux lignes harmonieuses et à l’usage optimisé. Père du design industriel, Raymond Loewy a marqué son époque en revendiquant une esthétique de la simplicité qui prime encore aujourd’hui. De cette vision à l’approche d’un designer contemporain, tour d’horizon d’une discipline qui fait de l’harmonie sa pierre angulaire.
Il y a des vies qui incarnent à elles-seules l’esprit d’une époque, ses accomplissements comme ses dérives. Raymond Loewy en est une. Né en 1893, il a connu les débuts et accompagné l’essor de l’automobile, de l’aviation, du rêve américain et de la société de consommation. Fondateur de l’esthétique industrielle, ce français émigré aux Etats-Unis en 1919 a contribué, par ses talents de concepteur et sa maîtrise des relations publiques, à la naissance du métier de designer industriel. Son principe ? Le MAYA (most advanced yet acceptable), soit l’idée d’aller le plus loin possible dans la modernité d’un design tout en garantissant son adoption par le plus grand nombre. Le succès commercial est tel qu’en 1952, dans son autobiographie La laideur se vend mal, il peut se vanter que 3 américains sur 4 utilisent au quotidien ses créations. De la locomotive au taille-crayon, en passant par les logos de Lucky Strike, Exxon, Monoprix, Shell, Lu ou Newman, le designer a travaillé pour presque tous les géants de la production de masse, à une époque où le mythe du progrès technique bat son plein.
Alors que les machines se complexifient pour répondre aux besoins des consommateurs (et en créer quantité de nouveaux, au passage), Loewy parvient à imposer l’idée que l’apparence d’un objet doit avant tout être simple. Comme la peau recouvre la mécanique complexe du corps humain, l’enveloppe des objets techniques se doit d’être épurée, ses courbes lisses et harmonieuses. Ce souci de l’esthétique a pour but de faciliter la relation entre les objets et leurs usagers. Intermédiaire entre l’ingénieur qui le conçoit et le public qui l’utilise, le design rend l’objet non seulement acceptable, mais désirable.
« Le design recherche le bien-être, que ce soit en matière de transport, d’habitat ou de décoration intérieure », résume Pablo Goury. « La forme d’un objet doit servir sa fonction et tendre vers l’évidence. Or toute la difficulté est de produire un objet en apparence simple, mais qui peut être très compliqué en conception. Plus encore que Loewy, Apple a massivement influencé le design actuel vers la recherche de simplicité, avec le bouton unique de l’iPod ».
Formé au design industriel avant de se tourner vers l’architecture d’intérieur, la scénographie puis la création d’objets et de bijoux, Pablo Goury conçoit son approche pluridisciplinaire du design comme un tout. Il s’agit toujours de répondre à une problématique, en partant d’un jeu de contraintes et à travers un processus créatif qui croise l’artisanat, l’industrie et l’art.
Portrait de Pablo Goury par Olivia Rutherford.
Prendre en compte un environnement, un mode de production ou un univers de marque est la condition sine qua non à la réussite d’une création. « Au début, on veut dessiner de très beaux objets, mais très vite, on s’aperçoit que l’harmonie n’est possible que lorsqu’on cible un problème concret », constate-t-il. « Si je dessine une très belle bague mais qu’elle est désagréable à porter, je la considère comme ratée. Mon travail consiste à la rendre confortable sans dénaturer l’harmonie de sa forme. Car en design, on ne dessine pas pour soi, mais pour les autres ».
Créer un objet, c’est toujours le destiner à quelqu’un. « J’aime partir d’une observation de rue, de nature, puis tâtonner, regrouper ensemble des idées nouvelles et d’autres qui ont eu le temps de mûrir. Avec l’expérience, les idées me viennent sans que j’ai forcément besoin de les dessiner, simplement en les adaptant à l’espace. » C’est dans ce dialogue intuitif entre la conception et la fabrication que Pablo Goury puise l’inspiration, revisitant la forme qui l’obsède depuis longtemps, la colonne cannelée. « Je l’ai découverte il y a dix ans en réalisant une maquette. Cette forme est magnifique, elle prend parfaitement la lumière. Sa beauté est évidente pour moi, mais pour qu’elle puisse devenir harmonieuse, je dois trouver son usage le plus pertinent. »
Chaque designer a ses manies et ses idées fixes. Le seul regret de Raymond Loewy ? « Ne pas avoir inventé l’œuf, cette forme parfaite ». Self-made man et génie auto-proclamé, Loewy a été critiqué pour avoir promu sans réserve les tenants du capitalisme moderne, autant que pour s’être souvent mis en scène. Il a pourtant le mérite d’avoir lancé la course à l’exigence de qualité et d’esthétique dans la production de biens marchands. En cela, sa vision perdure : « Faire du design pour le bénéfice du plus grand nombre, en premier lieu et toujours ».
Pablo Goury est co-fondateur de la boutique Le 371 à Paris, son travail est à découvrir sur IG : @pablogoury.
Photo de couverture : Vertical fleuriste, architecture d’intérieure pensée par Pablo Goury et photographiée par Olivia Rutherford.