Le Rendez-vous des Divinités : La Déesse Hestia
« Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible » – Albert Camus
Au cœur de l’hiver, le mois de janvier est une passerelle permettant de balayer et de gommer l’ancien de l’année passée en pénétrant à pas feutrés dans la nouvelle année avec la page blanche qui s’ouvre devant nous, nous laissant maître de ce que nous y écrirons…
La saison de l’hiver s’inscrit dans le sillage de deux Archétypes féminins, étudiés aux côtés d’Alexandra Fryda Marty, de Moonsistersparis : la Femme Sage et la Sage-Femme, appelée aussi la Doula, du grec [doulè], dans l’Antiquité, l’esclave confidente de la maîtresse de maison, qui s’occupait de lui prodiguer des soins et de l’entourer de sollicitude lorsqu’elle était enceinte et qu’elle allait accoucher.
De nombreuses divinités peuvent être assimilées à ces deux Archétypes pour nous accompagner sur le sentier de l’hiver tout en maintenant la flamme qui saura nous guider et nous éclairer tout en nous réchauffant.
Hécate est, parmi l’une d’elles une Déesse, qui entretient cette passerelle entre ombre et lumière, entre souterrain et terrestre.
Mais pour notre rendez-vous, j’ai choisi de vous parler d’une Déesse moins connue, et plus en retrait que certaines divinités plus célèbres. Mais Hestia est loin d’être une Déesse mineure, bien au contraire, elle est au cœur de l’hiver, comme au cœur de la vie domestique, civile, religieuse.
Alors pourquoi et comment relier la Déesse Hestia à ces deux Archétypes qui clôturent et ouvrent l’année ?
Première fille des Titans, Cronos et Rhéa, la Déesse Hestia fut avalée la première par son père dès qu’elle naquit et fut la dernière à être recrachée par lui, après avoir absorbé la potion vomitive que Zeus lui fit avaler. Elle resta donc plus longtemps dans les entrailles paternelles.
Aînée de sa fratrie, elle bénéficie d’un immense respect et d’une profonde vénération de la part de ses frères et sœurs.
Elle est toujours servie en premier lors des sacrifices ou des banquets. Et dans la sphère domestique, lors des repas, elle est honorée la première en l’invoquant et en lui offrant le doux vin au début et à la fin du repas.
Hestia est donc bien la Déesse des passages et des seuils, en ouverture et en clôture, comme celle qui achève avec la Femme Sage la fin de l’année et qui débute la nouvelle année avec la Sage-Femme.
Refusant les avances pressantes de Poséidon et d’Apollon, elle demande à Zeus de lui laisser la décision et le contrôle de sa vie en restant solitaire et chaste. Zeus exauce le souhait le plus cher de sa sœur et lui accorde en contrepartie une place de choix, une place centrale dans les fonctions et missions domestiques comme citoyennes.
En effet, Hestia tiendra un rôle crucial, au cœur du foyer, appelé « le nombril », ce qui est lié au nombril saillant de la femme enceinte, lors du septième mois de sa grossesse et au moment où le cordon ombilical est coupé jusqu’au moment où il tombe : Hestia, vouée à la virginité, occupe la place maîtresse de la fécondation, son lieu de résidence étant dans ce nombril domestique puis public, civique et religieux.
La Déesse Hestia, bien déterminée dans son choix de vie, est une divinité totalement autonome, à l’image d’Artémis et d’Athéna.
Par conséquent, elle s’affirme par un attribut masculin, le sceptre royal, en lieu et place de la quenouille et de la cuillère, symboles de la femme mariée et de la mère.
Gardienne et Patronne du foyer, la Déesse Hestia veille sur la flamme du foyer qui se tient au centre de l’âtre et au centre de la maison. Une des sources à propos de l’étymologie de son prénom grec Hestia corrobore cette fonction primordiale en nous indiquant que [istiè/estia] signifie le « foyer », « le socle où l’on se nourrit et où l’on se réchauffe », et son homologue latin Vesta viendrait de la racine *wes/*vas qui veut dire « brûler ».
Elle occupe la fonction capitale du foyer : veiller sur le feu qui réchauffe, nourrit, éclaire…
Les fonctions d’Hestia ne s’arrêtent pas là mais se déclinent en rôles importants comme présider aux repas de fête, décider de laisser entrer un suppliant dans l’espace intime de la maison, et veiller également à la bonne et juste transmission du patrimoine familial.
De plus, Hestia se tient au cœur de la cité, elle est la seule Déesse aux Prytanées, foyer central de la cité où siègent les magistrats qui prennent des décisions. Pindare, un poète grec, la désigne comme « la Patronne des Prytanées ».
Elle veille au feu qui y brûle et qui ne doit jamais s’éteindre sous peine de voir mourir la cité tout entière. Elle est la Gardienne de la pérennité des civilisations.
La Déesse Hestia incarne une grande sagesse, elle équilibre l’atmosphère du foyer comme celle de la cité, elle cultive les valeurs de l’hospitalité, de la générosité, et du réconfort. Elle est la sérénité elle-même car elle ne prend pas part dans les conflits qui agitent l’Olympe, elle sait combien les êtres et les choses ont une nature changeante.
Cette sagesse et cette sérénité lui confèrent la paix intérieure comme la stabilité fiable.
Hestia représente la Femme Sage dans sa connaissance des vicissitudes de la vie et des êtres.
Les dieux comme les hommes se tournent souvent vers elle en cas de troubles ou d’incertitudes car elle rassemble tout le monde dans sa douceur et dans sa patience pour attendre la réponse qui se tisse, sans jamais la contraindre ni la précipiter. La Femme Sage est bien à l’œuvre chez Hestia.
Son statut de Gardienne du feu sacré s’exporte jusqu’à Delphes, lieu considéré comme le nombril du monde grec, et où la flamme sacrée, sur laquelle Hestia veille avec une grande vigilance, brûle dans l’âtre commun de la Grèce entière.
Hestia passe souvent pour une Déesse austère et rigide, qui ne bouge pas, qui ne change pas de place, restant drapée assez souvent dans sa solitude et dans son économie de mots. Elle est peu présente dans les textes comme dans les statues qui la représentent. Mais ce n’est pas parce qu’elle est peu mentionnée et donc très discrète qu’elle est une Déesse sans impact ni influence. Elle occupe une place majeure dans les rituels du quotidien et dans les passages clés de la vie dont elle connaît les mystères, à l’instar de la Femme Sage.
La Déesse Hestia, liée à l’aspect rassurant du feu, anime la maison de sa chaleur et invite à se tourner vers l’intériorité du foyer et la vie familiale. Elle est une véritable accompagnante dans les transitions et passages de la vie. Ainsi, Hestia revêt tout naturellement l’étole de la Sage-Femme qui conduit à la vie, avec maîtrise des gestes, avec patience et avec fiabilité.
En effet, un rituel antique, appelé Amphidromie, littéralement « course autour », consistait à présenter le nouveau-né devant la flamme de l’autel d’Hestia, après lui avoir fait faire le tour de la maison, porté dans les bras de ses parents.
C’est par ce rituel sacré qu’Hestia reconnaissait le bébé et à la suite de ce rituel, ses parents lui donnaient un nom : la Déesse participait ainsi à la reconnaissance de l’enfant et se portait garante de son existence.
Une des principales plantes qu’on associe à Hestia est la lavande, dont l’étymologie signifie « laver », « purifier », et en effet, les sages-femmes l’utilisaient pour désinfecter l’eau servant à l’accouchement, à la toilette de la maman et de son bébé, et elles agitaient des tiges de fleurs de lavande, séchées, au-dessus des braises du foyer afin que le parfum apaisant et réconfortant embaume la pièce pendant l’accouchement et qu’il accueille sereinement le nouveau-né au moment de son arrivée.
De même, lors du mariage et de la fondation d’une nouvelle maison, une part de feu était prise du foyer paternel et du foyer de la cité d’origine pour en faire naître un nouveau, symbole de ce début de vie en couple dans un nouvel habitat. Il en était de même lors de la fondation d’une colonie : il était fondamental de toujours placer cette naissance de vie sous la tutelle bienveillante et protectrice de la Déesse Hestia.
Elle est celle qui préside à l’art de construire les maisons et d’élever les murs d’un nouveau foyer, qui était primitivement de forme ronde, symbole d’harmonie et de libre circulation de la chaleur. D’ailleurs, les temples romains érigés en l’honneur de Vesta et de ses Prêtresses, les Vestales, se remarquent par leur forme circulaire.
Hestia, dans son aspect de Sage-Femme, permet l’installation du couple sous de bons auspices dans sa nouvelle maison, participe à la fécondation dans le foyer par la flamme sacrée qui y brûle et qui fait l’objet de toutes les attentions, et reconnaît le nouveau-né.
Elle est le symbole du (re)nouveau qui s’écrit, elle fait « accoucher » les nouveaux départs, qu’il s’agisse de la fondation d’une nouvelle famille, d’une nouvelle cité, d’une nouvelle colonie, ou encore, d’une nouvelle vie réécrite : les Vestales, à Rome, avaient le pouvoir de gracier un condamné à mort et de l’affranchir du joug de la mort pour qu’il puisse réinventer une nouvelle version de son existence.
Hestia, la Sage-Femme, dans la saison du Capricorne, qui correspond à la Chèvre Mythologique apportant l’abondance et la prospérité, représentée par sa Corne d’Abondance, qui est également le symbole de la Déesse.
Elle est la Déesse [Polyolbos], « aux nombreux dons », présage de prospérité à l’orée de la nouvelle année.
Hestia, ou Vesta en latin, Déesse des transitions, de la fin vers le début, Déesse des commencements.
Hestia, entre Femme Sage et Sage-Femme, comme pilier du premier mois de l’année.
Hestia, Déesse du feu sacré, de la flamme et de la lumière, nous accompagne dans notre chemin, dans nos connexions et nos révélations, dans nos réflexions et nos compréhensions : elle est notre accompagnante en ce début d’année, Tisseuse de lumière au seuil de la nouvelle année.
Elle nous invite à nous tourner vers la chaleur de notre foyer, à l’entretenir et y veiller avec tendresse, douceur et protection, à réchauffer nos cœurs au creux de l’hiver et à renforcer notre flamme intérieure.
« L’hiver, saison silencieuse, mais aussi saison d’attente féconde. » – Stefan Satrenkyi