Beauty Interview avec Patrick Jouffret : « La Beauté est pluri sensorielle »

Patrick Jouffret, designer français, a pour volonté de créer des objets qui libèrent l’esprit et qui apporte de la Beauté à tous. Il voit la Beauté comme pluri sensorielle et absolue, dépassant tout ce que l’on peut appréhender. Il nous transporte dans sa vision de la Beauté et comment il essaie de l’apporter chaque jour.

Raconte-nous la dernière fois que la Beauté t’a fait du bien, t’a soignée ?  

Alors moi je vois de la Beauté partout : dans les lieux, dans les choses, dans les comportements. Je l’entends la Beauté aussi. Je pense que la dernière fois qu’elle m’a vraiment soignée, c’est sur mon nouveau lieu de travail qui est au-dessus du port de Toulon. Ça a changé ma vie quotidienne, j’ai une très belle lumière et un paysage changeant. Je crois que c’est vraiment une Beauté qui influe sur mon travail positivement. Et donc qui m’apaise énormément.  

Comment ajoutes-tu de la Beauté au monde ? 

J’essaye déjà de le faire par mon comportement, mon rapport aux autres en particulier avec mes enfants. J’essaye de faire en sorte qu’ils s’épanouissent, qu’ils soient bien. Je pense que c’est une manière d’apporter de la Beauté au monde parce qu’ils vont faire le monde de demain. 

Et aussi par mon travail, c’est à dire en empruntant ce chemin qui a déjà été emprunté par d’autres avant moi et qui le sera après, qui est celui de de la création d’objets usuels, plutôt orienté vers l’utile. Un Beau qui nait de l’utile. Et aussi par un travail sur le Beau commun. C’est-à-dire tous les objets qui seront à usage public pour apporter de la Beauté dans le monde actuel.  

Crois-tu que la Beauté nous sauvera ? Comment ?    

C’est le ‘nous’ qui est important. Se sauver soi-même par la Beauté, je ne sais pas, mais la Beauté peut améliorer notre vie quotidienne. Le ‘nous’ au sens commun, nous sauvera, je pense que oui.

Je pense que le travail sur le Beau commun, c’est quelque chose qui est rarement fait. Qui dit commun, dit souvent dégradation au marché, je parle de l’environnement et du design. Et donc le fait de réfléchir, très sérieusement à ces questions, je trouve que c’est une forme de générosité que d’apporter de la Beauté pour tous, de travailler sur les zones d’ombres de nos vies, de notre quotidien : du transport en commun au lieu de fin de vie. Tous ces lieux qui sont oubliés par rapport à un univers où le Beau a plutôt colonisé une culture de l’individualisme. Je trouve ça très intéressant. Si le Beau est utilisé à ces fins-là, je pense qu’il nous sauvera. 

Si je te dis Beauté, tu penses à… ? 

Je pense à beaucoup de choses. Ça peut être une figure féminine, une musique. Je pense à Bach, je pense à des instruments de musique, à des détails d’objets. Je pense aussi à la nature même si pour moi, la nature c’est au-delà de la Beauté. C’est l’absolu, c’est quelque chose qu’on a du mal à appréhender. Pour moi, ce qu’on va trouver Beau, c’est ce qui nous ramène à la petitesse de notre condition humaine, à la limite de ce qu’on peut faire. Je crois que c’est pour ça que je suis vachement touché par les gens, par les actions humaines qui vont aller au delà de ce qui ordinaire, dans l’ordinaire. 

Qu’est-ce qui t’a émerveillé pour la première fois enfant ? T’en souviens-tu ?   

Oui. Je me souviens très bien. À la maternelle, on m’a appris un mot allemand, puisque j’étais dans une école bilingue. Ce mot c’est ‘blumen’ qui veut dire fleurs, en allemand, et que j’ai trouvé absolument sublime. Ça a été un choc esthétique, mais par l’oreille. 

Je pense vraiment que le Beau est pluri sensoriel. On ressent un paysage par le vent sur la peau, par le son du vent dans les arbres, par la lumière, par les odeurs. Ce qui laisse rêveur lorsqu’on travaille dans le design, et par conséquent aussi dans l’esthétique. Puisqu’on a un terrain d’action qui n’est pas juste la forme, la densité, l’esthétique, mais qui peut aller bien au delà et qui est bougeant, mouvant puisqu’on travaille sur l’ergonomie et l’usage. 

Où va se cacher le Beau ? Le beau est-il dans l’ordinaire ? 

Le Beau est surtout dans l’ordinaire. J’ai un peu de mal à voir le Beau dans l’extraordinaire. Pour moi, le Beau c’est des légères variations dans la création humaine qui vont, finalement, amener un quelque chose d’inattendu et de vraiment surprenant. C’est un dialogue qui s’opère entre celui qui a fait et celui qui regarde. Ça peut être un dialogue à travers les siècles : on peut dialoguer en voyant une poterie byzantine ou un instrument de musique Inca, et comprendre la recherche et la démarche de la personne qui a fait cet objet là il y a plusieurs siècles.

Je pense que le Beau est surtout dans l’ordinaire. En fait, l’ordinaire est un peu extraordinaire. Il suffit de regarder une lumière, de sentir l’air dans ses poumons, se dire que c’est quelque chose d’assez miraculeux qui est en train de se passer. Je pense que chercher le Beau dans l’extraordinaire, c’est dommage. C’est passer à côté d’une forme d’essentiel. 

Ton mantra, ta philosophie de vie pour te sentir belle et épanouie, c’est quoi ?    

Je n’ai pas de mantra, ni de phrases qui me sortent de mes moments de doute. Je m’adapte aux situations et j’évite d’avoir des habitudes, le plus possible.  

Qu’est-ce qui t’inspire le sentiment de Beauté, pourrais-tu le décrire ?    

Je pense que le sentiment de Beauté chez moi se traduit par des larmes aux yeux. C’est très gênant. Je me souviens avoir écouté Barbara, pourtant je n’écoutais pas spécialement ces chansons, mais j’avais ce vinyle où elle chantait Brassens. Sa voix, ce qu’elle a dégagé, m’a transpercé, je me suis mis à pleurer. Je ne pense pas que je pleurais de tristesse, ni de mélancolie. Je pleurais devant tant de Beauté. Un exploit sportif peut aussi me toucher. Une idée, un dessin, peut me faire monter les larmes aux yeux effectivement.